Et s’il était possible de remonter le temps? De revenir en arrière afin d’amoindrir l’impact de l’Homme sur notre fragile planète et son climat? En cherchant à retourner le CO2 émis par les combustibles fossiles vers les profondeurs de la Terre, le professeur Michel Malo du Centre Eau Terre Environnement et son équipe contribuent à « renverser la vapeur » et à diminuer l’apport de gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère par le secteur industriel.
« Avec 96 % de notre électricité provenant de l’hydraulique au Québec, on a tendance à oublier qu’aux États-Unis, environ 50 % de l’électricité provient de centrales thermiques au charbon! », s’exclame Michel Malo, géologue et titulaire de la Chaire de recherche sur la séquestration géologique du CO2, financée par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP). En effet, plus de la moitié des émissions de CO2 mondiales proviennent de « grands émetteurs », c’est-à-dire des centrales thermiques, des raffineries, des cimenteries et des alumineries, par exemple.
En captant le CO2 directement de ces usines, il est possible ensuite de le transporter pour finalement l’enfouir profondément dans le sol, où il sera séquestré potentiellement sur un laps de temps indéfini. Évidemment, plusieurs mesures d’économie d’énergie doivent être adoptées simultanément afin de réduire notre empreinte sur le climat, mais « la séquestration géologique du carbone fait partie des multiples démarches prônées par les experts en climatologie », affirme le professeur.
Vieilles techniques, nouveaux usages
Avant d’enfouir du gaz dans les profondeurs de la Terre, encore faut-il pouvoir « attraper » les molécules de CO2 à l’usine avant qu’elles ne s’échappent dans l’atmosphère. Il existe diverses techniques, mais le captage en postcombustion (extraction du CO2 des fumées produites par la combustion) reste l’option privilégiée. Une unité de captage de CO2 peut s’ajouter aux installations d’une usine déjà existante, ce qui, dans le futur, pourrait devenir une technologie distribuée à plus grande échelle. Le gaz ainsi recueilli est transporté par des pipelines jusqu’au site d’injection.
Une nouvelle approche, vraiment ? « Les technologies d’injection de CO2 dans de vieux réservoirs de pétrole sont utilisées depuis les années 1970 », rappelle Michel Malo, « mais ce qui est novateur, c’est d’utiliser cette technologie à des fins environnementales ». Le CO2 peut être stocké dans un ancien gisement de pétrole ou de gaz naturel, mais il y en a très peu au Québec. La solution consiste donc à l’injecter dans des aquifères salins profonds, un type de formation de roches poreuses remplies d’ancienne eau de mer très salée et non potable. Avec le temps, différents mécanismes chimiques et physiques permettront de fixer le CO2. Au final, celui-ci fera littéralement partie de la roche. Un véritable retour à la Terre, en quelque sorte.
Les réservoirs potentiels du Québec
Spécialiste de la géologie des Appalaches, Michel Malo raconte que c’est à la suite d’un passage de deux ans à travailler dans le secteur minier en Afrique qu’il développe un intérêt pour les ressources naturelles (minéraux, gaz et pétrole) que recèlent les roches sédimentaires. Aujourd’hui, riche de ses vingt-cinq ans d’expérience au sein de l’INRS, il chapeaute la Chaire depuis ses débuts en 2008, dans la foulée du Plan d’action sur les changements climatiques du MDDEP. « L’objectif principal de la Chaire est d’évaluer la capacité de séquestration du CO2dans un contexte québécois », indique le géologue. « Nous évaluons la région de Bécancour, dans les Basses-Terres du Saint-Laurent, puisqu’on possède beaucoup d’information géologique dans ce secteur où des aquifères salins sont présents en profondeur », poursuit-il. Michel Malo insiste : « Avant de faire une injection de gaz, il faut avoir un maximum de données de terrain ». Sachant que les réservoirs potentiels sont situés jusqu’à 2 500 m de profondeur et qu’il en coûtera près de 3 M$ pour un premier sondage, il est primordial de connaître toute l’hétérogénéité du sol pour bien choisir le site d’injection.
[ Crédit image – Denis Chalifour ]
Misant sur la précieuse collaboration de plusieurs collègues tels Bernard Giroux du Centre Eau Terre Environnement et Mathieu Duchesne de la Commission géologique du Canada (CGC), Michel Malo insiste sur l’importance d’une bonne synergie au sein de son équipe pour faire progresser les projets de la Chaire. Ainsi, les étudiants à la maîtrise Jean-François Grenier analyse les roches de Bécancour afin d’établir un modèle sédimentologique des réservoirs et Benjamin St-Pierre s’intéresse à leur géométrie structurale. Quant à l’écoulement des aquifères, il est modélisé par le stagiaire postdoctoral Tien Dung Tran Ngoc à partir d’un modèle géologique 3D des aquifères de la région de Bécancour construit par Maxime Claprood pendant son stage postdoctoral. Enfin, Frank Diedro, également au postdoctorat, se penche sur la réactivité des roches des futurs réservoirs. « Nous sommes rendus à l’étape de la caractérisation du site de Bécancour. S’en suivra ensuite une analyse de risques et le design du projet pilote », s’enthousiasme le professeur.
Une population à informer
À propos du déploiement de cette technologie, Michel Malo confie qu’un des principaux défis, mis à part les coûts, sera l’acceptation du projet par la population. En effet, le cofondateur et codirecteur du réseau de recherche géoscientifique DIVEX insiste sur l’importance d’une caractérisation complète du réservoir afin de s’assurer d’une séquestration à long terme du CO2. Les risques de fuites après que le CO2est injecté en profondeur sont faibles, mais doivent quand même être évalués puisque les sites potentiels d’enfouissement sont situés en zones relativement peuplées. Il faudra donc informer et sensibiliser la population à propos de cette approche novatrice.
Le plan d’action provincial vise une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 % en 2020 par rapport à 1990. C’est tout un défi puisque la demande en énergie fossile est en constante augmentation à l’échelle mondiale et que les autres alternatives énergétiques, comme l’énergie solaire et éolienne, ne sont malheureusement pas encore prêtes à prendre le relais. Grâce à la séquestration du CO2, il sera possible de se rapprocher de cet objectif en réduisant significativement notre impact sur le climat. ?