Denis Gasquet, Directeur général de Veolia Propreté, s’exprime sur les enjeux de la réduction des quantités de déchets :
"L’incinération reste un sujet de débats souvent complexe et contradictoire. Parmi les déchets incinérés, une partie importante peut être constituée de matières renouvelables et donc être source d’énergie renouvelable. C’est le cas de la biomasse issue du bois, du papier, du carton. L’énergie produite à partir des déchets verts ou des déchets alimentaires entre donc bien dans la production d’énergie renouvelable. Le problème réside dans le fait que ces déchets sont en général mélangés avec d’autres qui ne sont pas issus de la biomasse, l’énergie produite n’est alors pas entièrement qualifiée de « renouvelable » au sens strict du terme (fraction non biomasse estimée par convention à 50 % du total des déchets incinérés).
Sur le marché énergétique, il est préférable d’incinérer les déchets issus de matières premières fossiles, comme le pétrole par exemple, pour récupérer ainsi l’énergie produite comme c’est le cas dans la majeure partie de nos installations. C’est alors la seconde vie des déchets qui deviennent des combustibles de substitution. Cette énergie de substitution c’est de l’énergie alternative mais pas de l’énergie renouvelable, voilà pour la sémantique.
La hiérarchie des modes de traitement des déchets aujourd’hui est claire et définie au niveau européen, il s’agit d’éviter de produire des déchets, ce qui reste primordial, aussi pour un groupe de traitement de déchets comme le nôtre. Veolia Propreté réalise les 2/3 de son activité avec des clients industriels, le reste étant les collectivités locales. Nous travaillons avec nos clients industriels pour réduire quantitativement leur production de déchets ou leur dangerosité (aspect qualitatif) pour une raison simple : c’est économiquement rentable au regard des prix de traitement de déchets atteints aujourd’hui. A périmètre constant dans notre activité industrielle, les quantités de déchets traités sont en réduction, et les tonnes de déchets recyclés en forte augmentation.
Dans le monde entier, l’industrie, notamment chimique, diminue sa production de déchets, même si elle produit des molécules de plus en plus complexes. Une fois la production des déchets réduite, il faut réutiliser les matières restantes afin de préserver les ressources primaires. La réutilisation, le recyclage, et la valorisation matière doivent impérativement intervenir en amont de la valorisation énergétique et de l’élimination. Cette hiérarchie est développée quotidiennement dans les entreprises, et s’impose maintenant au niveau mondial. Les différentes politiques nationales de déchets convergent sur le plan international, même si leur vitesse d’application est différente en fonction des pays considérés.
Philippe Chalmin** évoquait les déchets issus du bâtiment qui constituent des quantités gigantesques mais dont seule une petite partie est vraiment recyclable. Compte tenu des tonnages très importants, ceux-ci renferment un fort potentiel. Nous sommes dans un domaine qui commence à évoluer et à se réglementer. Des pays comme la Norvège où nous travaillons, ont institué l’obligation d’un plan de démolition de toute installation, y compris de maisons individuelles, et pour les travaux de réhabilitation chez le particulier, afin d’optimiser le recyclage dans chaque partie du processus de démolition.
Comme le disait Philippe Chalmin la tendance aujourd’hui est à la diversification des modes de traitements énergétiques du déchet. Si l’incinération classique reste l’alternative essentielle pour les déchets non recyclés ou les résidus d’autres types de traitements, nous offrons des procédés beaucoup plus élaborés comme la méthanisation sur sites industriels. La méthanisation du biogaz de décharge constitue une autre forme de valorisation énergétique des déchets. Autre domaine en plein essor : les fabrications de combustibles de substitution. Cela permet d’aller jusqu’au bout de la logique de la hiérarchie des déchets. Vous prenez un flux de déchets quel qu’il soit, vous le traitez pour en extraire les matières recyclables dont vous optimisez l’extraction. Il est alors facile de fabriquer de l’énergie à partir de la fraction non valorisable. Cela contrevient à l’idée reçue qui consiste à dire : « Lorsque vous installez une grosse usine d’incinération, vous asséchez la capacité de recyclage ».
Il y a aujourd’hui très peu de pays dans lesquels le développement de l’incinération a asséché le recyclage. Cela peut néanmoins se révéler localement vrai, région par région ou dans une ville donnée, etc. Mais si vous travaillez sur la masse pour obtenir un produit qui va devenir un combustible, vous inversez l’argument. C’est la seule explication rationnelle aujourd’hui du développement important de l’incinération en Allemagne, qui a un fort taux de recyclage, est même considérée comme une excellente solution, alors qu’elle a mauvaise presse en France.
La politique allemande, c’est d’arrêter complètement tous les modes d’élimination autres que l’incinération. Cette politique, pour des raisons complexes, veut éviter que la matière organique soit mise en décharge. Dans ce cadre, la fabrication de combustible solide de récupération, source d’énergie alternative, présente l’intérêt d’être très complémentaire des efforts de recyclage et de produire des combustibles au pouvoir calorifique supérieur à celui du déchet non préparé. Mais il existe un inconvénient considérable: celui de lever les garde fous en termes d’émissions de pollutions atmosphériques, d’émissions gazeuses dans l’incinération de déchets ménagers ou industriels traditionnels.
Les installations de traitement de déchets répondent à des exigences pointues qui en font probablement l’une des industries les plus propres parce que très réglementée et contrôlée. Les incinérateurs modernes ne présentent pas de risques sanitaires. Cela pourrait ne pas être le cas, si on produisait des quantités importantes de combustibles de substitution issus de déchets et qu’on les brûlait dans des installations moins réglementées et soumises à des seuils d’émissions moins stricts. Les professionnels des déchets entendent tirer le meilleur en matière d’énergie contenu dans les déchets mais attirent l’attention sur la dispersion de la pollution dans l’environnement qu’il faut prévenir.
Il convient de mettre en place des collectes sélectives efficaces, d’éduquer les populations pour séparer les flux de déchets – en particulier ceux qui nuisent à la qualité finale des déchets – qu’on peut soit recycler, soit incinérer. En effet, si des polluants se retrouvent dans les flux de déchets, ils ne peuvent plus être valorisés correctement. En France, les unités de recyclage sont en moyenne trop petites en comparaison avec la moyenne dans le nord de l’Europe. En Allemagne et en Angleterre, les capacités vont de 50 000 à plus de 100 000 tonnes par an pour le recyclage pur.
En France, il existe encore des centres de 10 000 tonnes avec une moyenne de 25/30 000 tonnes, soit en dessous de l’optimum économique. Ceci est lié à des questions administratives qui sont plus complexes chez nous. L’autre explication est la densité de population : il est évident qu’on ne peut avoir les mêmes capacités dans des lieux extrêmement denses comme en Allemagne et en Angleterre et dans une France moins dense pour une grande partie du territoire."
** Philippe Chalmin est un professeur d’économie français, spécialiste sur le marché des matières premières.