Concept relativement nouveau, le Supergrid consiste à créer un réseau électrique à très grande échelle. L’intérêt est multiple et comprend notamment l’exploitation de sources de production d’électricité renouvelables lointaines ou la mise en commun de réseaux nationaux afin de bénéficier de leur complémentarité.
Le Supergrid implique de transporter l’électricité sur de longues distances, ce qui nécessite des réseaux capables d’acheminer de fortes puissances avec de faibles pertes.
Pour afficher des pertes inférieures aux lignes de courant traditionnelles, il est de plus en plus fréquent de remplacer les lignes de courant alternatif (HVAC[1]) par du courant continu (HVDC[2]).
En effet, ce type de transmission présente de nombreux avantages dans le cadre de Supergrid. Pour les très longues distances, les lignes en courant continu sont plus simples et moins coûteuses à construire que celles en courant alternatif (y compris en y intégrant le coût des transformateurs nécessaires au courant continu). Par ailleurs, pour des liaisons sous marines de plus de 50 km et des liaisons aériennes de plus de 500 km, les chutes de tension en courant alternatif sont trop importantes pour permettre la transmission. Enfin le courant continu facilite la connexion entre deux réseaux électriques n’ayant pas la même fréquence, possédant des normes de courant alternatif différentes, ou travaillant en mode asynchrone.
Les lignes HVDC vont ainsi connaître un essor important au cours des dix prochaines années. Pike Research estime que les investissements dans les lignes de transmission HVDC vont bondir de 44% en 5 ans, passant ainsi de 8 milliards de dollars en 2010 à 12 milliards en 2015. Aujourd’hui, utilities et pouvoirs publics tendent donc de privilégier le HVDC dans leurs projets de Supergrid.
Néanmoins, il reste encore de nombreux défis technologiques à relever pour permettre un déploiement massif de Supergrid.
ALCIMED revient sur les enjeux R&D du Supergrid et se concentre sur les exemples de la Chine et des Etats-Unis, qui sont deux pays très actifs dans le domaine.
Les enjeux technologiques du Supergrid
Mettre en place un réseau Supergrid nécessite d’avoir des technologies de pointe pour augmenter la tension, avoir une électronique de puissance haute tension, enfouir des câbles sous terrain ou sous-marin, avoir des lignes HVDC/UHVDC multipoints et une supra connectivité[3].
– Des tensions toujours plus élevées
Dans les pays émergents notamment (Chine, Brésil, Inde), où les distances à couvrir pour acheminer l’électricité sont particulièrement élevées, il est nécessaire d’atteindre des niveaux de tension électrique très élevés.
En effet, les transmissions UHVDC[4] s’avèrent plus compétitives que les liaisons HVDC sur des distances supérieures à 1000-1500 kms avec des puissances de 5000 à 8000 MW. A titre exemple, pour une puissance donnée de 6400 MW sur une distance de 1800 km, la transmission 800 kV DC se révèle 25% moins coûteuse que la transmission en 600 kV DC. Cela s’explique notamment par des pertes en ligne 50% moindres en augmentant la tension de 600 kV à 800 kV. A puissance comparable, en augmentant la tension, on baisse l’intensité (P=U*I) et donc l’effet joule assimilable à une partie des pertes en ligne.
– L’électronique de puissance haute tension
Ces transmissions en courant continu à très haute tension font émerger de nouvelles contraintes au niveau des composants et de l’électronique de puissance.
D’importants investissements de R&D sont réalisés sur les convertisseurs de tension. En effet, la conversion d’un courant continu de très haute tension en un courant alternatif (et inversement) entraîne des coûts importants et des pertes additionnelles. D’un côté les thyristors à base de silicium ont les meilleurs rendements énergétiques mais restent onéreux, de l’autre les transistors IGBT plus récents sont plus simples et plus économiques à utiliser, mais ne supportent pas encore des tensions de l’ordre de 600kV. Ce sont sur ces derniers que se concentrent actuellement les efforts de recherche.
En augmentant la tension, c’est également la fiabilité et la sécurité des transformateurs qu’il faut améliorer. Non seulement, la distance rallonge les délais de communication et de maintenance en cas de panne, mais ces autoroutes électriques revêtent également bien souvent un aspect critique puisqu’elles alimentent parfois plusieurs millions de foyers sans aucune alternative énergétique de secours.
– Des câbles enfouis (sous terrain ou sous-marin)
Le développement du Supergrid nécessitera aussi la mise au point de câbles de transmission sous-marins ou sous-terrains très haute tension. D’une part, il faudra relier des zones séparées par la mer (éolien off-shore), d’autre part, il faudra obtenir les autorisations des populations locales pour installer de nouvelles lignes de transmission. A titre d’exemple, la liaison France-Espagne a vu le jour en 2008 après 20 ans de blocage, grâce au projet d’enfouissement de la ligne, entraînant au passage une multiplication des coûts par dix.
Cependant, enfouir des lignes HVDC/UHVDC sous la terre ou sous la mer pose des contraintes d’isolation fortes. Les câbles HVDC traditionnels enfouis sont isolés à l’aide d’un papier imprégné d’huile et peuvent supporter des tensions de 600 kV et des puissances de 2000 MW. Les nouveaux câbles HVDC enfouis reposent sur des techniques d’isolation synthétique (polymérique). Cette technique d’isolation les rend plus robustes aux conditions subaquatiques de plus en plus extrêmes en termes de pression, d’humidité et de corrosion. Néanmoins ces câbles enfouis de nouvelle génération sont encore limités à des tensions de 300 kV et des puissances de 1000 MW.
– Des lignes HVDC/UHVDC multipoints
Aujourd’hui la majorité des systèmes de transmission HVDC sont des lignes « point à point » mais demain la multiplication des raccordements transnationaux et de sources de production électrique diffuses nécessitera la mise au point de systèmes de transmission UHVDC « multipoints » avec des nœuds et différentes stations de conversion le long d’une même ligne. En pointe sur ce sujet, ABB livrera à l’Inde d’ici 2015 le premier réseau de transmission 800 kv DC multi-point au Monde.
Ces systèmes de transmission « multipoints » UHVDC nécessitent notamment des améliorations technologiques autour des coupe-circuit capables d’agir avec de telles tensions. Ceux-ci permettent en effet d’aiguiller le courant au niveau des nœuds. A ce sujet, ABB a déclaré utiliser de tels coupe-circuits dans le cadre du projet des 3 Gorges en Chine.
– La supraconductivité pour diminuer les pertes en ligne
La supraconductivité intéresse tout particulièrement les promoteurs du Supergrid puisque cette technique adresse les problèmes de résistance, l’un des enjeux majeurs des transmissions électriques sur de très longues distances. Le principe de la supraconductivité consiste à véhiculer de l’électricité dans des câbles à très basses température (refroidis par hydrogène liquide), afin de fortement diminuer leur résistance et donc les pertes en ligne. En outre la supraconductivité permet d’atteindre des densités de puissance beaucoup plus élevées, ce qui pourrait même à terme donner aux câbles supraconducteurs de plusieurs centaines de kilomètres le rôle de batteries géantes ou du moins d’amortisseurs. Au Japon, un groupe de chercheurs de l’université de Chubu a mis au point un nouveau design de câble supra-conducteur capable de stocker 4 megajoules d’énergie magnétique par kilomètre. Cependant, les tests ne portent encore actuellement que sur une portion de câble de 20 mètres de long …
La Chine et les Etats-Unis, deux pays en voie d’intégration du Supergrid
Les deux pays les plus impliqués dans les efforts de R&D publics sont la Chine et les Etats-Unis pour des raisons différentes : la Chine doit satisfaire sa consommation électrique exponentielle, et les Etats-Unis doivent améliorer l’interconnexion entre les différents réseaux existants et intégrer des centres de production électrique d’origine renouvelable.
– La Chine, un potentiel hydroélectrique encore inexploité
La Chine s’intéresse de près au Supergrid car sa consommation électrique connait une croissance annuelle à deux chiffres depuis dix ans. Pour assurer l’approvisionnement des mégapoles de la côte Est (Beijing, Shanghai et Guangzhou), la Chine souhaite puiser dans le potentiel hydroélectrique encore inexploité du sud-ouest. Cela nécessite des liaisons électriques sur de très grandes distances.
La Chine a planifié la construction de près de 10 projets UHVDC d’ici 2020 sur des distances allant de 2000 à 3000 kms. La première ligne de transmission UHVDC au monde a vu le jour en Chine en 2010. Elle relie la centrale hydroélectrique de Xiangjiaba à la ville de Shanghai située à 2000 kms et supporte une tension de 800 kV pour une puissance de 6000 à 7000 MW.
La R&D en Chine est surtout gérée par le CEPRI (China Electric Power Research Institute), filiale du SGCC (State Grid Corporation of China), qui regroupe des chercheurs dans tous les domaines de la transmission électrique et dispose de très importants moyens d’essai et de simulation des réseaux électriques.
Les principaux axes de recherche sont la transmission et la transformation à haute et à très haute tension ainsi que la sécurité et la fiabilité des réseaux de forte puissance. Ces axes couvrent de nombreux domaines incluant la simulation et l’analyse des systèmes de puissance, l’électronique de puissance, les nouveaux matériaux, l’automatisation du réseau électrique et le contrôle des centrales de production.
La Chine est de plus l’un des rares pays à disposer d’un centre de test UHVDC à même de générer des tensions de plus de 800 kV et de tester les conditions d’isolation, de pollution et d’électromagnétisme.
– Les Etats-Unis, des enjeux d’interconnexions de réseaux et d’exploitation d’énergie renouvelable
Aux Etats-Unis, la logique du Supergrid est différente de la Chine. Comme pour les autres pays développés, il s’agit davantage de connecter des réseaux entre eux et d’intégrer des centres de production d’énergie renouvelable : l’objectif est d’exploiter le potentiel solaire de l’Ouest ainsi que le potentiel éolien du Midwest et du Texas pour alimenter les mégapoles de la côte Est.
Au sud des Etats-Unis, le projet de « superstation » de Tres Amigas pourrait être à la base du Supergrid américain. Cette superstation dont la construction devrait débuter en 2012 et s’achever 2 ans plus tard sera une plateforme d’échange qui reliera entre eux les réseaux de l’est, de l’ouest et du Texas. Cette superstation connectera les trois réseaux à l’aide de 3 lignes de transmission de 5000 MW supraconductrices.
A l’Est, le projet Atlantic Wind Connection (AWC) estimé à près de 5 milliards de dollars et financé pour plus d’un tiers par Google consiste en la création d’une ligne de transmission HVDC sous-marine de plus de 500 km au large de la côte Est. Elle permettra de relier de futurs champs éoliens off-shore à quatre des Etats les plus densément peuplés des Etats-Unis, à savoir le New Jersey, le Maryland, le Delaware et la Virginie.
Le National Energy Technology Laboratory américain (NETL), financé par le département de l’énergie (DOE), mène des actions de R&D sur le Supergrid dans le cadre de son programme de recherche stratégique sur le smartgrid (Smart Grid Implementation Strategy).
Ce programme se penche notamment sur la fiabilité de la transmission, la génération diffuse d’énergie, l’informatisation du réseau, et s’inscrit dans la stratégie définie par l’Etat pour le réseau national à horizon 2030.
– Et la France ?….
Si les pouvoirs publics français ne semblent pas autant impliqués que la Chine ou que les Etats-Unis sur le Supergrid, la démarche de la France s’inscrit davantage dans un projet de Supergrid à l’échelle européenne. Celui-ci relierait entre eux les gisements solaires du Sahara, les champs éoliens offshore de la Mer du Nord et de la Mer Baltique, ainsi que le potentiel de stockage hydroélectrique de la Norvège. L’objectif à terme est d’augmenter de manière significative la part d’énergie renouvelable dans le mix énergétique de l’Europe de l’Ouest.
[1] HVAC : courant alternatif haute tension
[2] HVDC : courant continu haute tension (600 kV)
[3] Les niveaux inédits de tension électrique atteints sur les réseaux Supergrid font émerger de nouvelles contraintes, à commencer par la fiabilité de l’électronique de puissance et l’isolation des câbles sous terrain ou sous-marin. En outre, à mesure qu’il s’étoffe et se déploie, le Supergrid pose la question des connections entre réseaux HVDC/UHVDC et ranime le débat sur la supraconductivité.
[4] UHVDC : courant continu très haute tension (800 kV)
Des informations intéressantes dans cette brève qui illustre les contraintes liées à un recours massif à des énergies renouvelables dont on ne maîtrise ni le lieu d’implantation (éolien off-shore, solaire méditerranéen…) ni la continuité de fonctionnement, alors que ses partisans mettent en avant l’avantage d’un système production-consommation local et décentralisé. On note également le surcoût d’un réseau enterré (d’un facteur 10 dans le cas de la liaison France Espagne) par rapport à des lignes aériennes. N’est-ce pas ce qui impose implicitement le passage en courant continu avec des tensions élévées (800 kV) alors qu’il existe depuis longtemps au Canada ou en Russie des lignes aériennes en courant alternatif à 750 kV ? De même, on peut avoir quelques doutes qu’un stockage hydroélectrique en Norvège d’une production électrique au Sahara telle que mentionné en fin d’article corresponde à un optimum technico-économique…
serait-il possible d’avoir une legende sous les photos afin de savoir ce quelles montrent ? ainsi je dormirais moins bete ce soir….
« Au Japon, un groupe de chercheurs de l’université de Chubu a mis au point un nouveau design de câble supra-conducteur capable de stocker 4 megajoules d’énergie magnétique par kilomètre » Pour info, 4 MJ correspond à un peu plus d’1 KWH… Autrement dit, une broutille.
Encore une fois c’est le mix de solutions qui est une solution : Avoir 100% de bâtiments à énergie positive est une solution mais elle est irréalisable à court terme. Produire 100% d’énergie renouvelable proche des lieux de consommation est impossible également (c’est viable en campagne mais pour les grosses villes, tu oublies). Enfin les solutions HVDC est une solution chère, qui est complexe au niveau de la mise en oeuvre (tant technique que politique) mais est une solution viable. Ce qui impose le passage en courant continu ce sont les grandes distances, comme c’est précisé dans l’article. De plus le HVDC a l’avantage d’être compatible avec tout type de réseau puisqu’il y a désynchronisation. C’est une technologie chère (mais l’argent n’est-il pas une simple représentation du temps de travail humain, donc une source d’emploi ??) Mais qui est très prometteuse je pense. Ca et la production d’hydrogène, et son transport via pipelines, j’y crois énormément.
C’est depuis 1965 qu’Hydro-Québec transporte son électricité en courant continu sous une tension de 735,000 volts.
Les états unis disposent d’un gisement éolien terrestre fantastique au centre du continent. Chaque Mwh extrait du vent sauve un peu de gaz de schiste qui, à son tour, sauve du charbon. Ce dernier voit son coût monter, on l’utilise moins ce qui pourrait éviter de grandes quantités de CO² à terme. La côte ouest dispose de gisements géothermiques colossaux – dont l’effrayant Yellow Stone – qui profiteraient aussi d’un réseau longue distance. L’article ne mentionne pas le problème des terres rares lourdes dont les Lanthanes (qui souffrent d’une pénurie mondiale) sont les seuls a devenir supraconducteurs à la température de l’azote liquide. L’hydrogène liquide nécessite des stations de liquéfaction très impressionantes en volume et consommation d’énergie. C’est ce que je ne comprends pas bien ici. Enfin Merci à Google pour ce cadeau sous marin financé bien avant tout le monde et qui va sauver des millions de tonnes de CO² tout en favorisant l’industrie éolienne offshore qui est loin d’avoir terminé ses investissements.
Le transport d’électricité d’Hydro Quebec à 735 kV est pour l’essentiel assuré en courant alternatif. Seule une liaison entre la Baie James et Boston est en continu.
Mais sacrément prometteuse ! Qu’on se le dise, l’intégration d’importantes capacités d’EnR intermittentes est impossible sans l’aide des technologies smart grid, car la flexibilité des centrales classiques ne réglera pas tout le problème. Le super grid doit être compris comme une vision à long terme, d’ici-là il faut se concentrer sur des centrales flexibles, le stockage et également l’effacement (ou plus largement le demand response) que l’on oublie un peu trop souvent…