Les micro-algues sont au centre d’une petite révolution technologique. Leur culture ouvre sur la production de biocarburants, en réinventant aussi bien les procédés industriels que les modèles économiques. Aux Etats-Unis et en Europe, différents projets passent aujourd’hui des expérimentations à l’exploitation.
La culture du phytoplancton et plus précisément des cyanobactéries en est à ses balbutiements, mais c’est l’un des domaines les plus prometteurs de la révolution des biotechnologies. Ces organismes microscopiques unicellulaires se développent selon un processus photosynthétique comparable à celui des plantes, qui en fait de minuscules usines biochimiques. Dans la nature, ils participent à la régulation du CO2. Le phytoplancton marin est responsable de plus de la moitié de la fixation totale du C02 sur notre planète, et les cyanobactéries, qui comptent parmi les formes vivantes les plus anciennes, furent même à l’origine d’un phénomène connu sous le nom de grande oxydation, il y a environ 2,4 milliards d’années : une crise climatique inverse de celle qui nous menace aujourd’hui, avec un déséquilibrage de l’atmosphère au profit de l’oxygène.
Le rythme de développement des micro-algues est sensiblement supérieur à celui de la plupart des plantes terrestres. Certains de ces micro-organismes unicellulaires se divisent par mitose toutes les 24 heures. Autotrophes (capables de produire de la matière organique en procédant à la réduction de matière inorganique), ils se multiplient sans autre apport que de la lumière, de l´eau et du C02. Dans l’hypothèse d’une exploitation industrielle pour produire de la biomasse, leur rendement est donc bien supérieur à celui des végétaux terrestres.
Avant même d’entreprendre des opérations de génie génétique, la nature offre plus de 30 000 espèces répertoriées, dont certaines sont à la fois particulièrement riches en lipides et particulièrement rapides dans leur développement.
Nettoyage et production
Cette remarquable diversité reste insuffisamment explorée, mais on sait déjà que les possibilités offertes par la culture des micro-algues et plus généralement des algues sont nombreuses. Cette culture peut avoir lieu en milieu fermé ou ouvert, naturel ou artificiel, avec des enjeux divers : assainir un environnement, en utilisant la fonction de capture du carbone (algues et micro-algues) et d’éléments comme l’azote (algues), production de biomasse.
Patrick Kangas, professeur au département d’agriculture et technologie de l’université du Maryland, est à l’origine d’un projet visant à nettoyer la baie de Chesapeake (à côté de Washington, DC), tout en fournissant une matière première pour les biocarburants. Dans l’environnement fragile et pollué de cette lagune presque fermée, les algues prolifèrent et contribuent à créer des zones mortes, pauvres en oxygène et nocives pour la vie aquatique. Mais avec la culture de champs d’algues dans un système contrôlé, les végétaux peuvent nettoyer l’eau de ses polluants. Dans ce cas particulier, ce sont des algues filamenteuses qui sont utilisées.
Plus ambitieux, le projet Salinalgue développé par le pôle de compétitivité Mer – PACA et qui associe treize partenaires réunis dans un consortium privé-public (parmi eux figure GDF Suez, qui est l’un des mécènes de ParisTech Review). Ce projet vise la production de micro-algues cultivées en milieu halophile sur de grandes étendues lagunaires. Les premiers enjeux sont environnementaux , avec en particulier la bioremédiation (séquestration naturelle) de C02 industriel dans un contexte économico-juridique marqué par l’émergence d’une fiscalité carbone et la nécessité pour les industriels européens de compenser leurs émissions de carbone. Sur ce plan la culture d’algues offre des solutions.
Les zones littorales humides du sud de la France présentent un environnement particulièrement favorable au développement de l’algoculture, avec une activité historique de production de sel en recherche de reconversion (Salins du Midi) qui offrent de vastes espaces inexploités, mais aussi un important bassin de production de CO2 industriel à proximité (Fos-sur-Mer). La présence naturelle d’une micro-algue (Dunaliella salina) permet d’exploiter ce CO2 tout en produisant de la biomasse. Après une étude approfondie dans un espace de 1000 à 1500 m2, il est prévu d’exploiter 20 000 hectares de salines.
Que faire de la biomasse ainsi produite ? Parmi les débouchés possibles figurent la vente à l’aquaculture (pour nourrir poissons et crustacés), mais aussi des produits de substitution aux huiles de poisson. Riches en lipides, les micro-algues peuvent aussi être utilisées pour produire des huiles végétales, qui pourront être transformées en esters méthylique d’huiles végétales, en langage courant des biodiesels. C’est sur ce créneau que s’est positionné Salinalgues, notamment parce que le site voisin de Fos-sur-Mer abrite d’importantes raffineries. Le bioraffinage, qui transforme la biomasse en éthanol, nécessite un traitement au CO2, et là encore la présence de CO2 industriel est une ressource.
L’industrialisation pourrait intervenir en 2015. D’autres projets intégrant la production de biocarburants, en Europe et aux Etats-Unis, sont déjà en phase d’exploitation. Le plus intéressant est sans conteste la production de pétrole artificiel.
Le cycle du pétrole en deux jours
Il faut savoir que les micro-algues sont à l’origine d’une bonne partie du pétrole existant aujourd’hui, qui s’est formé à partir de leur décomposition. Sous certaines conditions (privation et stress), certaines espèces peuvent accumuler 50 à 80% de lipides.
Cette matière première se transforme naturellement en pétrole au cours d’un processus qui prend des dizaines, voire des centaines de millions d’années : une strate de matières organiques, recouverte de sédiments, croît en température et en pression pour se transformer en kérogène; si certaines conditions sont réunies et notamment que la température dépasse 50 °C, le kérogène est pyrolysé, pour produire des combustibles : pétrole, gaz naturel, charbon.
Les facteurs principaux de cette transformation sont la pression et la température. A partir d’une pâte composée de biomasse issue des micro-algues, de hautes pressions et de hautes températures peuvent accélérer le cycle. A l’initiative d’un ingénieur français, Bernard Stroïazzo-Mougin, une équipe franco-espagnole a développé un process expérimental puis industriel permettant de reproduire le cycle du pétrole en deux jours seulement. Ce biopétrole a la même capacité à brûler que le pétrole brut, mais il présente l’avantage de ne pas contenir de soufre et de métaux lourds, éléments presque toujours présents dans les gisements naturels, et qui sont très polluants.
La toute première usine de pétrole artificiel a ainsi vu le jour en 2010 à Alicante, en Espagne, et depuis mars 2011 la start-up Bio Fuel Systems (BFS) fabrique du pétrole. L’installation est située à proximité d’une cimenterie rejetant le CO2 indispensable à ce type de fabrication. La culture intensive des micro-algues et l’absorption massive du CO2 s’opère en milieu fermé et dans des photobioréacteurs verticaux pour une optimisation des surfaces d’implantation, un meilleur contrôle des propriétés physico-chimiques du milieu d’élevage et une rentabilité optimale.
L’objectif à terme de cette usine est de produire 230 000 barils de pétrole par an sur une superficie de 40 hectares. Un chiffre encore modeste, qui correspond à la consommation d’environ 20 000 Européens. Mais les grandes compagnies pétrolières s’intéressent de près au procédé et Exxon, le n°1 mondial du secteur, serait prêt à investir massivement.
Les algocarburants ont-ils un avenir ?
Un des avantages de ces biocarburants de “troisième génération”, c’est que par rapport à ceux de première et deuxième générations, obtenus à partir d’huile végétale de plantes terrestres, ils n’entrent pas en concurrence avec les cultures alimentaires et ne consomment donc pas de terres arables.
Les micro-algues sont également sans rivales en ce qui concerne la capacité de production de biomasse, à la fois pour le rythme élevé et régulier de cette production, mais aussi pour la qualité spécifique de cette biomasse, qui ne comprend pas de composés ligno-cellulosiques (qui assurent la rigidité des végétaux terrestres, de l’épi à l’arbre). Ces caractéristiques les rendent spécialement propices à l’exploitation industrielle.
En outre, la production peut se faire en milieu naturel mais aussi en bacs ou en cylindres, presque sans contact avec l’environnement, et avec un usage vertical de l’espace qui limite l’emprise au sol. Les photobioréacteurs de BFS font ainsi huit mètres de haut et ils ont été conçus de façon à optimiser les surfaces d’implantation au sol et la productivité à l’hectare.
Des limites existent, cependant, qui sont de plusieurs natures.
La première tient à la dépendance au soleil, qui peut créer des variations dans les cycles de production. Des solutions sont déjà apparues. La société Fermentalg, par exemple, a récemment mis au point un procédé de culture dans l’obscurité, avec de hauts rendements.
La seconde est l’encrassement rapide des tubes, dans les cultures en circuit fermé. Mais là encore des progrès considérables ont été accomplis et les cylindres de BFS sont par exemple autonettoyants.
Le bioraffinage est l’un des domaines où des améliorations sont possibles, et nécessaires. Dans le cas de Salinalgue, c’est d’ailleurs un thème majeur de la R & D, mené sous la responsabilité du laboratoire Green de l’université d’Avignon. Les process d’extraction de liquide et de fractionnement de l’huile algale font l’objet d’une attention particulière, avec un impératif de développer des procédés propres et économes en énergie.
Plus généralement se pose la question des coûts de production, notamment quand on considère la concurrence des énergies fossiles. La production d’algocarburants et de pétrole bleu est aujourd’hui trop marginale, trop proche du stade expérimental, pour qu’une comparaison soit réellement possible avec le pétrole classique, mais on est encore loin de l’équivalence. Les chiffres varient, mais les estimations les plus optimistes font état de coûts de production encore deux ou trois fois supérieurs dans le cas des algocarburants. Le baril de pétrole bleu reviendrait ainsi aujourd’hui à 30 euros.
Des solutions complexes et intégrées
Mais Fermentalg et l’usine d’Alicante ont en commun de ne pas se contenter de produire de la biomasse ou du pétrole bleu. Une partie du chiffre d’affaire est réalisée à partir de la vente de bêta-carotène et d’acides gras de type omégas 3, qui sont extraits par pressage et filtrage en début de process, et qui se négocient autour de 100 000 euros la tonne.
On s’approche ici de ce qui est peut-être le plus intéressant dans cette histoire : la complexité des modèles industriels et, au-delà, des modèles économiques mis en œuvre pour développer cette nouvelle activité.
La production de biocarburants à partir des micro-algues relève d’une structure multi-produits et multi-entrées. Le modèle de base est le suivant : parmi les input, du CO2 industriel. Parmi les output issus de la biomasse, des produits à haute valeur ajoutée (omégas 3, etc.) et la base de biocarburants.
Mais ce modèle peut se raffiner. A Shenandoah (Iowa), le Green Plains Renewable Energy and BioProcess Algae Project associe la production de micro-algues à une production préexistante d’éthanol de maïs. Les micro-algues sont utilisées pour nettoyer les résidus et pour enrichir les biocarburants de première génération… tout en profitant de la chaleur produite par le raffinage de ces carburants.
Ce qui s’invente, ici, ce sont des usages complexes, des process industriels en boucle où les input sont des output et réciproquement. La chaleur du raffinage est réutilisée pour faire croître des algues, qui se nourrissent des déchets de la production d’éthanol, et qui sont consommées ensuite comme matière première par cette même production. On a ainsi un cycle du vivant qui se greffe sur un processus industriel ; une circularité qui vient dynamiser une logique traditionnelle input-ouput.
De la même façon, le coût des matières premières utilisées dans la production de micro-algues peut être négatif. En effet, dans le cadre européen des crédits carbone, qui impose aux industriels une gestion des quotas, l’entreprise fournisseuse de CO2 peut retirer un bénéfice des tonnes de carbone économisées, et elle peut être prête à payer pour la consommation de ce carbone. C’est clairement l’un des paris du secteur émergent de production d’algocarburants, qui anticipe sur la mise en place d’une économie-carbone en inventant une nouvelle chaîne de valeur.
Pistes de progrès
L’inventivité économique et industrielle des acteurs du secteur est remarquable, et elle mérite d’être saluée. Mais beaucoup reste à faire pour que les expérimentations actuelles donnent naissance à de véritables filières.
On peut distinguer au moins deux domaines où des améliorations substantielles sont attendues, qui ne modifieront pas l’essentiel du modèle mais devraient lui permettre de mieux fonctionner.
Le premier domaine porte sur la biologie. Il y a sur ce point beaucoup à faire, à la fois du côté de l’exploration de la biodiversité et de la sélection des espèces adaptées au différents types de production, mais aussi du côté de la maîtrise de leur métabolisme afin d’obtenir les meilleurs rendements. L’amélioration génétique est évidemment l’une des pistes les plus prometteuses. Comme dans le cas des maïs transgéniques, se posera naturellement la question des risques de contamination du milieu naturel et d’atteinte possible à la diversité. C’est donc un enjeu de recherche, au-delà des spécialistes du génie génétique.
Un deuxième domaine est l’ingénierie des procédés : aussi bien du côté de la production que de l’extraction et du raffinage, on est encore du côté de l’expérimentation et de vastes progrès sont possibles. Sur ce point les industriels eux-mêmes sont déjà très actifs, mais ils sont encore peu nombreux. La croissance prévisible du secteur et l’arrivée d’investisseurs devraient stimuler ce champ, accroître la concurrence et permettre des hausses rapides et significatives de la productivité. Les micro-algues n’ont pas fini de faire parler d’elles.
[Article publié sous CC – ParisTech Review ]
Article très interessant qui montre bien le potentiel de l’algoculture. Deux questions toutefois sur les points suivants extraits de l’article : « La société Fermentalg, par exemple, a récemment mis au point un procédé de culture dans l’obscurité, avec de hauts rendements »: d’où provient l’énergie dans ce procédé ? « Les chiffres varient, mais les estimations les plus optimistes font état de coûts de production encore deux ou trois fois supérieurs dans le cas des algocarburants. Le baril de pétrole bleu reviendrait ainsi aujourd’hui à 30 euros » : le prix du baril de pétrole conventionnel n’est-il pas supérieur à 30 € (vers 80 $) aujourd’hui ?
Hier tellement repoussées car trop archaïque et trop sale (« Une entreprise sans usine » disait à l’époque le patron d’Alcatel) voilà l’indutrie et l’agriculture qui reviennent en force ! L’industrie pour produire de la qualité et exporter. L’agriculture pour nous nourrir, de manière indépendante, nous chauffer, nous mouvoir. Quel pied de nez à l’idéologie de la dématérialisation… Et quel retard nous avons pris : le pays est à réindustrialiser. Vaste chantier.
Dans cet article, on retrouve les informations publiées en janvier dernier dans Enerzine (). BFS France annonce une production de 230.000 barils par an sur 40 hectares, uniquement à partir de l’énergie solaire reçue. Si ces chiffres sont exacts, le rendement de la photosynthèse est de l’ordre de 40%. J’aimerais savoir si ce rendement a été confirmé depuis la mise en service de l’usine. Si oui, le CO2, jusqu’ici déchet hautement polluant pour l’atmosphère, devient un vecteur d’énergie idéal, puisqu’il suffit de le récupérer à la production, et de le recycler pour pouvoir maintenir notre consommation d’énergie actuelle.
Certes le CO2 peut se valoriser mais les coûts sont aujourd’hui trop élevés. Par exemple BFS (implanté en Espagne avec sa première réalisation mais fondée par un français) est rentable non pas avec la production de biocarburants mais grâce un sous-produit sous la forme d’acides gras. D’autres entreprises se lancent sur cette piste : Virgin a annoncé avoir réduit de 50% ses émissions de CO2 sur des vols grâce à l’utilisation d’un biocarburant généré grâce au CO2 en sortie d’aciérie. Une co-entreprise néo-zélandaise et suédoise dont je ne me rappelle plus les noms. Les solutions sont là mais trop coûteuses. Comment rendre ce type d’installations rentables ? Un prix élevé à la tonne de carbone semble être la seule motivation possible pour les industriels à part l’activisme de quelques industriels comme Richard Branson chez Virgin. Encore une fois on trouve des informations précieuses sur le blog Energie :
@Llionell Les nutriments ne sont-ils pas recyclables? Si l’objectif principal de l’algoculture est le stockage d’énergie, les éléments minéraux sont sans doute récupérables, par exemple dans les cendres de combustion