Même si elle goûte parfois bizarre au sortir du robinet, l’eau au Québec est bonne à boire. Plusieurs experts s’inquiètent toutefois de voir l’or bleu vicié par des composés chimiques utilisés dans l’industrie cosmétique ou pharmaceutique, par exemple. Échappant aux tamis des usines de traitement des eaux usées, ceux qu’on appelle polluants émergents se retrouvent dans nos verres et nos rivières.
Titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en sciences de l’eau, Rimeh Daghrir raffine les pratiques industrielles d’assainissement des eaux usées.
Avec ses travaux sur la photo-électro-catalyse, un procédé qui éradique cette nouvelle classe de contaminants d’une manière respectueuse pour les écosystèmes marins, la diplômée a raflé le Prix pour la meilleure thèse de doctorat du Centre Eau Terre Environnement lors de la dernière collation des grades de l’INRS.
Présents dans les antibiotiques, les antidépresseurs, les hormones, les stéroïdes ou les crèmes de nuit, les polluants émergents n’ont pas été nommés ainsi parce qu’ils sont nouveaux, mais plutôt parce qu’on commence à s’apercevoir de leurs effets nocifs sur la santé des humains et des animaux. Pensons au bisphénol A, un composé chimique des biberons en plastique dont la toxicité a été démontrée récemment après 40 ans d’utilisation. Il ne s’agit là que d’un exemple parmi 38 000 polluants émergents ayant des effets sur le système endocrinien. Chez l’homme, on soupçonne ces molécules d’être à l’origine du déclin du spermatozoïde ainsi que de nombreux cancers. Pour les espèces aquatiques, le portrait est encore plus sombre. « Ces contaminants perturbent les fonctions de bioluminescence chez le poisson pêcheur et le calmar, par exemple, et provoquent même des effets oestrogéniques chez ces espèces aquatiques, explique Rimeh Daghrir. Ils peuvent même entraîner la disparition de certaines espèces. »
À l’échelle mondiale, ces contaminants font l’objet de normes de plus en plus nombreuses. Au pays, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement a identifié 23 000 polluants émergents qui font l’objet d’un contrôle normatif. Jugés selon leur persistance, leur bioaccumulation et leur toxicité, 393 d’entre eux ont été classés « haute priorité » parce qu’ils posent un risque plus grand pour l’environnement, la faune aquatique et la flore.
Originaire de Tunisie, Rimeh Daghrir a profité d’une bourse d’excellence après son baccalauréat en génie chimique pour venir étudier au Québec. Sous la codirection des professeurs Patrick Drogui, du Centre Eau Terre Environnement, et My Ali El Khakani, du Centre Énergie Matériaux Télécommunications, elle a mis au point un procédé qui permet d’éliminer la carbamazépine et la chlorotétracycline, deux produits pharmaceutiques présents dans nos cours d’eau. « D’autres recherches ont montré que la technique peut aussi être utilisée sur des polluants réfractaires comme le bisphénol A », précise-t-elle. Le procédé consiste à provoquer dans l’eau usée une réaction chimique qui génère ce qu’on appelle des espèces oxygénées hautement réactives – le peroxyde d’hydrogène, l’ozone et les radicaux hydroxyles. Un peu à la manière d’une mine antipersonnel, dès que ces espèces oxygénées entrent en contact avec une bactérie ou un polluant, l’oxydation et la décomposition se mettent en branle. Bye bye polluant émergent!
Les propriétés de ces espèces oxygénées réactives sont connues depuis longtemps, mais le défi consistait à générer ces molécules dans l’eau usée.
La solution trouvée par Rimeh ? Plonger dans l’eau un catalyseur photoactif nanostructuré, l’oxyde de titane dopé – un matériau sous forme de revêtement permettant d’accélérer une réaction chimique sans y être consommée et de générer ainsi des espèces ultra-oxydantes lorsque soumis à l’action conjointe de la lumière ultraviolette (UV) et du courant électrique.
L’utilisation de ces anodes nanostructrées dans les procédés de photo-électro-catalyse crée suffisamment de radicaux hydroxyles pour purifier complètement les effluents traités. « Le procédé conventionnel, la photocatalyse, n’arrivait pas à créer en quantité suffisante les oxydants nécessaires pour dégrader les polluants, commente-t-elle.
En ajoutant l’électricité, on obtient de 30 à 35 % plus d’espèces oxygénées réactives, ce qui nous permet de tout détruire. » Il ne suffit que d’une lampe UV (ou de rayonnement solaire) ainsi que d’une anode nanostructurée (photosensible au rayonnement solaire) pour redonner à l’eau toute sa pureté.
Vert et économique
Le procédé, très efficace, permet de transformer en eau et en dioxyde de carbone jusqu’à 90 % des contaminants. Comme on peut générer sur place la quantité exacte d’oxydants réactifs pour traiter l’eau, on évite en plus des problèmes de transport, de stockage et de dosage des espèces oxygénées réactives. Dans un effort pour rendre la technique encore moins énergivore, Rimeh Daghrir a de plus étudié un moyen de « doper » son catalyseur avec de l’azote pour le rendre réactif à la lumière du soleil. Autrement dit, s’il fait jour, aucun besoin de faire fonctionner la lampe UV.
Quand on lui demande si cette découverte sera bientôt employée dans des usines de traitement des eaux usées, Rimeh Daghrir sourit. « Jusqu’ici, les travaux ont été effectués en laboratoire et il reste encore beaucoup de recherches à faire pour appliquer cette méthode à grande échelle, lance-t-elle. Il est probable que d’autres étudiants du Centre Eau Terre Environnement de l’INRS travailleront là-dessus. »
** Diplôme en poche, Rimeh occupe aujourd’hui le poste de chercheure au Centre des technologies de l’eau affilié au cégep de Saint-Laurent. Elle utilise ses connaissances en chimie, en électrochimie et en génie de l’environnement pour trouver un moyen de traiter les eaux usées, les effluents industriels et les eaux grises. Des rives de la Méditerranée au grand verre d’eau de chez nous puisée au robinet, elle ne démord pas quant à l’importance de cette ressource inestimable, qu’elle désire voir aussi claire et pure que de l’eau de roche.