La mission conjointe du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) a rendu ses recommandations concernant les hydrocarbures de roche-mère, encore appelés gaz et huiles de schiste.
En achevant la rédaction du rapport provisoire, la mission estime pouvoir apporter aux ministres qui l’ont mandatée les éléments de réponse qui suivent.
1. Dans l’état actuel de nos connaissances, les ressources en gaz et huiles de roche-mère de notre pays restent largement inconnues faute d’avoir réalisé les travaux de recherches nécessaires à leur estimation. Si ces ressources ne sont pas définitivement prouvées, la comparaison avec les formations géologiques analogues exploitées en Amérique du nord laisse à penser que notre pays est parmi les pays les plus prometteurs au niveau européen en huiles dans le bassin parisien (100 millions de m3 techniquement exploitables) et en gaz dans le sud du pays (500 milliards de m3).
Ces ressources sont-elles économiquement exploitables ? En l’absence de tests de rendement réalisés dans le cadre de l’exploration, aucune réponse définitive ne peut être apportée à cette question, compte tenu de la spécificité de ces hydrocarbures présents par petites quantités disséminées dans la roche mère et non dans un « réservoir » comme c’est le cas des hydrocarbures conventionnels. Toutefois, l’intérêt que portent à notre pays les grands opérateurs pétroliers et gaziers et les compagnies nord-américaines spécialisées dans l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère, ainsi que les investissements qu’ils se proposent de consentir, attestent de l’ampleur du potentiel. D’un point de vue technique et économique, la probabilité que l’accès à ces gisements permette à notre pays, à un horizon temporel à préciser, de réduire très sensiblement ses importations d’hydrocarbures et de limiter d’autant le déficit de sa balance commerciale n’apparaît pas négligeable.
2. Les grands organismes techniques français, la plupart des entreprises et les analyses les plus sérieuses réalisées à l’étranger (EPA aux États-Unis, BAPE au Québec) reconnaissent qu’il reste encore des marges de progrès à réaliser et des approches innovantes à susciter, aussi bien en termes d’optimisation des forages pour accéder au maximum des ressources que pour rendre ces forages compatibles avec la protection de l’environnement.
Les élus et associations ont exprimé de fortes préoccupations en matière de prélèvement sur la ressource en eau et de risques de pollution. En particulier, la compatibilité d’une exploitation d’hydrocarbures non conventionnels apparaît problématique dans certains territoires dont l’économie repose sur l’image de marque, l’agriculture et l’activité touristique.
Les deux bassins susceptibles de renfermer des hydrocarbures de roche-mère diffèrent notablement
– Connaissance géologique avancée dans le bassin parisien, en particulier grâce aux nombreux forages pétroliers, alors que dans le sud-est, la connaissance de la géologie (plissements, formations karstiques) et des relations entre aquifères (failles mettant en relation des aquifères
différents) est à l’évidence encore très imparfaite,
– Nature des hydrocarbures : huiles dans le bassin parisien et gaz dans le sud-est.
3. Il faut souligner le caractère trompeur de l’appellation hydrocarbures dits « non-conventionnels » : ce qui est « non-conventionnel » n’est pas la nature de l’hydrocarbure, mais la roche dans laquelle on les trouve et les conditions dans lesquelles ils sont recherchés et exploités dans cette roche.
La mission estime que du strict point de vue de la maîtrise technique des risques et afin de limiter l’impact de l’activité industrielle, quatre conditions doivent impérativement être satisfaites :
– qu’une bonne connaissance de la géologie et de l’hydrogéologie locales soit acquise,
– que les meilleures technologies disponibles soient utilisées,
– que les travaux de recherches d’hydrocarbures soient strictement encadrés d’un point de vue technique et juridique,
– que l’autorité en charge de la police des mines exerce ses contrôles avec rigueur.
4. Il serait dommageable, pour l’économie nationale et pour l’emploi, que notre pays aille jusqu’à s’interdire, sans pour autant préjuger des suites qu’il entend y donner, de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle : accepter de rester dans l’ignorance d’un éventuel potentiel ne serait cohérent ni avec les objectifs de la loi POPE, ni avec le principe de précaution. Mais, pour ce faire, il est indispensable de réaliser des travaux de recherche et des tests d’exploration.
Dans ces conditions, la mission suggère aux ministres de retenir, s’agissant des hydrocarbures de roche-mère, les principes suivants :
a/ lancer un programme de recherche scientifique, dans un cadre national ou européen, sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux.
b/ S’agissant des Causses-Cévennes, il importera de parfaire la connaissance scientifique du fonctionnement des aquifères et de leurs connexions dans les formations karstiques, connaissance indispensable à une gestion optimale de la ressource en eau ;
c/ promouvoir la réalisation, par les industriels, d’un nombre limité de puits expérimentaux « sur-instrumentés » afin de pouvoir s’assurer du respect des enjeux environnementaux. L’implantation de ces forages sera à définir en cohérence avec les besoins des opérateurs concernés ;
d/ Ces études et expérimentations contribueront à l’émergence et à la formation d’opérateurs et de sous-traitants nationaux susceptibles de se positionner sur le marché mondial.
Ces initiatives devront être assorties d’un encadrement strict :
a/ Un Comité scientifique national, composé d’experts du BRGM, de l’IFPEN, de l’INERIS et d’universitaires, y compris venant de l’étranger, sera garant de la qualité et de la transparence des études et recherches envisagées ci-dessus, en particulier sur les études géologiques et hydrogéologiques ainsi que sur l’évaluation des risques environnementaux liés aux travaux d’exploration. Le Comité scientifique donnera son avis sur l’implantation des forages. Il s’assurera en outre de l’emploi des meilleures techniques disponibles, notamment pour la qualité de réalisation des puits. La participation de la société civile devra être assurée ;
b/ Ces travaux expérimentaux seront instrumentés de manière à contrôler le processus de fracturation et à s’assurer de l’absence de toute pollution, notamment des nappes phréatiques, ceci sous le contrôle du Comité scientifique national ;
c/ des comités locaux d’information, composés d’élus et de représentants d’associations de protection de l’environnement, seront mis en place dans chaque département concerné.
Cette phase expérimentale sera également mise à profit pour optimiser l’organisation des services chargés de la police des mines et conforter leurs moyens.
5. La mission recommande que, en l’attente des résultats de ce programme de recherche, la technique la plus contestée, à savoir la fracturation hydraulique, ne soit pas utilisée hormis pour le programme scientifique indiqué ci-dessus.
6. La mission recommande, en tout état de cause et pour bénéficier des travaux législatifs et réglementaires en cours relatifs à la codification du code minier, d’actualiser la réglementation afférente à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère dans le sens d’une amélioration de l’information et de la consultation du public et des élus, de façon à se conformer aux principes généraux nationaux et européens. La mission suggère notamment que des procédures de consultation préalable soient instituées avant l’octroi de permis d’exploration.
7. La mission préconise d’actualiser la réglementation technique afférente à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures en adaptant certaines règles au cas des hydrocarbures de roche-mère. Les travaux expérimentaux précités contribueront à l’élaboration de ces règles : par exemple n’autoriser qu’un nombre limité d’additifs de fracturation jugés sans risque pour l’environnement ; imposer un référentiel de bonnes pratiques.
8. La mission préconise une révision de la fiscalité pétrolière de sorte que les collectivités locales trouvent un intérêt à une exploitation d’hydrocarbure sur leur territoire.
9. Enfin, dans deux ou trois ans, l’expérience acquise, aussi bien dans notre pays qu’en Europe et en Amérique du Nord, permettra de prendre des décisions rationnelles sur l’opportunité d’une exploitation de gaz et huiles de roche-mère en France.
Pour l’élaboration du rapport final, la mission se propose notamment d’approfondir un certain nombre de points laissés en attente et de préciser les propositions énoncées ci-dessus. Elle envisage de nouvelles rencontres avec les parties prenantes. Elle envisage également un déplacement sur un site opérationnel à l’étranger.