Suite à l’article détaillant le projet de Jean-François Thomas, un Auto-éco-constructeur d’une maison à énergie positive en Bretagne, nous vous proposons une interview de cet ancien Centralien de Paris.
Quelles sont les raisons et conditions de votre retour en Bretagne ?
JFT : Les entreprises françaises ne savent en général pas gérer le retour en France des expatriés. Mon cas n’a pas échappé à la règle et j’ai été amené à quitter mon employeur.
Basé dans le sud-ouest, je n’ai pas alors trouvé de challenge suffisamment motivant pour me lancer.
En parallèle, et depuis de nombreuses années, je ressentais de plus en plus fortement mes racines bretonnes. En 2005, à l’occasion d’un séjour en Presqu’île de Crozon, là où je passais mes vacances quand j’avais 15 ans, ces racines ont ressurgi avec une très grande force et je me suis alors employé à mettre tout en œuvre pour m’installer sur la terre de mes ancêtres.
J’ai trouvé un projet sur Brest pour contribuer au développement d’une start-up et je m’y suis installé fin 2006. En l’absence de proposition convenable me permettant d’envisager un avenir personnel avec cette start-up (pour laquelle j’opérais bénévolement), j’ai décidé au bout de quelques mois de ne pas poursuivre, sans que cela ne remette en cause mon projet initial de m’installer en Bretagne, où je me sens vraiment chez moi.
Votre challenge est d’avant-garde. Il remet en cause la conception de nos habitats. Est-ce la marque d’une inclination pour l’écologie et l’autarcie raisonnées ou la remise en cause de nos modes de vie par ce que les américains appellent les « green-tech ».
JFT : Je ne suis ni un écologiste de la première heure ni un idéologue de l’écologie. Mais cela fait déjà de nombreuses années que j’ai cessé d’acquérir de la technologie à tout prix (j’ai été un des premiers possesseurs d’un lecteur CD au début des années 80 mais je n’ai jamais passé mon temps à changer d’équipement à chaque fois qu’un nouveau modèle sortait). Mon PC fixe date de fin 2002, c’est donc une antiquité. Je n’ai ni lecteur MP3, ni Ipod, ni abonnement à des chaînes cryptées ni même d’écran plat.
Je suis depuis toutes ces années dans un mode proche de ce qu’on appelle « les décroissants », de façon naturelle au début même si mes conditions économiques actuelles me poussent encore davantage dans cette direction.
Mon expérience professionnelle très riche m’a donné la capacité à bien comprendre le monde et la société dans laquelle nous vivons et à appréhender les grandes tendances à venir.
Ainsi je crois inévitable que malgré la grande frilosité de nos dirigeants, nous n’avons pas d’autre choix que de remettre totalement en cause nos modes de vie, de consommation et d’habitat.
Quelles raisons à votre choix d’appliquer à vous-même ces remises en cause ?
JFT : A défaut de trouver un chalenge professionnel motivant, j’ai décidé de créer moi-même les conditions de ce challenge : montrer la faisabilité de la réalisation d’un habitat sain et économe en énergie, à des conditions budgétaires raisonnables. Et en corollaire, aller vers l’autarcie énergétique et une forme d’autarcie alimentaire.
Parlez nous de votre défi, de ses exigences, procédures et méthodes pour le relever
JFT : Le projet, en voie de finition, est la réalisation d’une maison d’habitation à énergie positive (produisant plus d’énergie qu’elle n’en consomme). Après avoir consulté quelques constructeurs de maisons individuelles, il est apparu qu’aucun d’entre eux ne savait répondre à la question, chacun ne cherchant qu’à légèrement aménager des produits en catalogue alors qu’il fallait repenser totalement le projet à partir du cahier des charges que j’avais élaboré. Je trouve d’ailleurs regrettable que les organismes de certification attribuent des labels BBC (bâtiment basse consommation) à des maisons traditionnelles à base de parpaing ou brique rouge et laine de verre, à peine mieux isolées que les maisons habituelles, mais avec une énorme pompe à chaleur, produit très à la mode de nos jours pour « verdir » un projet. Ces maisons sont sans doute des maisons à faibles dépenses énergétiques mais en aucun cas à basse consommation.
Il y a hélas trop peu de compétences dans le domaine de l’éco-construction et deux maîtres d’œuvre consultés n’avaient pas de temps disponible à consacrer à mon projet.
Je me suis tourné vers les Castors de l’Ouest, avec qui j’avais déjà eu quelques contacts et j’y ai trouvé la compétence, la disponibilité et surtout la grande motivation à travailler sur un tel projet. Nous avons ensemble passé plusieurs mois à bien définir les matériaux et les solutions techniques à retenir compte tenu de mes objectifs et de mes contraintes (financières).
Quels sont objectifs précis donnés à votre projet ?
JFT : L’objectif est très simple : construire une maison à énergie positive avec des matériaux sains, dans une démarche HQE (haute qualité environnementale) pour un budget de 1 500 à 1 600 € le m2 habitable.
Bâtir soi-même : chemin de Damas et la jouissance du potier qui voit l’œuvre naître de ses mains ?
JFT : Compte tenu à la fois de ma contrainte budgétaire et de ma disponibilité, je me suis engagé dans une auto construction.
Pour gagner en efficacité, j’ai fait le choix de quitter mon logement sur Brest et de m’installer sur le terrain en mobile home. J’économise ainsi un loyer et des frais d’essence (donc du CO2). Je suis disponible tous les jours sur le terrain et gagne donc en efficacité. La contrepartie, qui se fait en particulier sentir avec l’arrivée de l’hiver, est un confort de vie très relatif.
Le résultat : maison verte, confortable, sans émissions de CO², à énergie positive et qui anticipe d’une décennie la législation.
Dans quelques mois, ce confort relatif sera oublié puisque j’emménagerai dans une maison saine, confortable, effectivement en avance de dix ans sur la future législation relative au BEPOS (bâtiment à énergie positive)
Imaginez-vous exploiter ou diffuser votre retour d’expérience ?
JFT : Au-delà de la fierté à réaliser un tel projet, je voudrais pouvoir diffuser le plus largement possible mes nouvelles compétences acquises. La forme reste à définir mais cela peut se faire sous forme d’un programme de formation à monter ou de conseils à prodiguer à de futurs auto constructeurs.
Le projet que je mène est également un projet d’insertion.
Mon analyse se fonde sur les éléments suivants :
– Un habitat pour les plus modestes (en particulier l’habitat social) ne répondant pas aux normes minimales énergétiques en vigueur et a fortiori encore moins à celles à venir. D’où des factures qui grimpent et l’augmentation prévisible du coût des énergies ne va pas arranger les choses.
– Beaucoup de gens sans activité, certains avec peu de moyens matériels, d’autres avec un chèque de licenciement ou quelques économies.
– Une situation de l’emploi qui n’est pas prête de s’améliorer, une exclusion en hausse, une diminution de la motivation des demandeurs d’emploi, une perte d’estime de soi.
Au lieu de financer les grands consommateurs de ressources, Lafarge et Saint-Gobain (pour ne citer qu’eux), ou les fournisseurs de pompes à chaleur ou de chauffe-eau solaires dont les tarifs ont augmenté sous prétexte que les clients bénéficient d’un crédit d’impôt (et que les constructeurs ou distributeurs se mettent donc dans la poche), il me semble que les pouvoirs publics devraient faciliter, par des aides directes adaptées, la mise en œuvre de projets d’auto-éco-construction. Ces projets sont des projets d’insertion, ils renforcent l’estime de soi de ceux qui les entreprennent et facilitent ainsi leur retour à l’emploi, ils sont un investissement pour une réduction significative des factures énergétiques. Sur un plan macro économique, c’est une des voies de la croissance verte dont on nous parle, ainsi que d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
C’est dans cette direction que j’aimerais me rendre utile.
Enfin un vrai altruiste ! et d’excellent niveau Bonne continuation
J’ai bien aprécié cet interview. sur le registre, « l’état devrait encourager…. », je suis persuadé que l’état ne saura pas jouer ce rôle, car il y a encore des années d’éducation écolo à diffuser. Aujourd’hui, les gens sont prêts à être écolos si cela est un petit geste (la méthode coué pour le tri des déchets) ou bien si cela leur rapporte immédiatement de l’argent (le crédit d’impot, ou les panneaux PV). Peu sont prêts à aller plus loin. Certains (et de plus en plus nombreux) souhaitent réaliser des habitats qui ressemblent à celui-ci, mais aujourd’hui, il faut beaucoup de courage et l’auto construction reste la règle (au moins en partie). En tous les cas, bravo, cela donne le moral.
Superbe et …. dommage Pour quelqu »un aussi féru de culture, qui met en avant un choix de vie aussi fort, l’architecture du projet passe au second plan derrière des considération technique et ‘performative’. L’illustration parfaite de ce qui est à l’oeuvre en ce moment. L’acte de construire c’est aussi donner une valeur culturelle aux choses, de fabriquer et voire de ré-inventer une identité. De ce point de vue, le projet est très faible. Pourtant, dans tous les autres pays européen où l’on construit en passif, l’architecture et l’expression des bâtiments reste un élément de premier plan, justement parce que ces bâtiments sont révolutionnaire.
Mr Thomas, vous avez prouver qu’il est techniquement possible de réaliser cette maison et cela avec un minimum de capitaux. Il reste pourtant un aspect de votre aventure qui appelle une réponse collective; une prise de conscience, un réveil. Il s’agit de la passivité, voir de l’obstruction que réalises nos autorités politiques. Cet aspect du sujet est capital pour que vos efforts portes leurs justes fruits. Pour vous, comme pour la communauté.