Dotée d’un patrimoine culturel riche et de ressources naturelles exceptionnelles, l’Arabie saoudite fait face à un défi de taille : la rareté d’eau douce pour soutenir une agriculture locale viable. Pour transformer cette contrainte en opportunité, des chercheurs de l’université King Abdullah pour la science et la technologie (KAUST), en collaboration avec des agriculteurs et le ministère de l’Environnement, de l’Eau et de l’Agriculture (MEWA), développent des solutions novatrices. Leur objectif ? Rendre l’agriculture durable dans les milieux arides en combinant cultures en environnement contrôlé et désalinisation des eaux non conventionnelles.
Au cœur de ce projet, mené par le Centre d’excellence KAUST pour la sécurité alimentaire durable, se trouve une idée simple : adapter la désalinisation aux besoins spécifiques des plantes. Plutôt que de purifier entièrement l’eau saumâtre — un procédé coûteux et énergivore —, les scientifiques ciblent uniquement les ions indésirables pour chaque espèce cultivée. « Pourquoi ne pas adapter la technologie de désalinisation en éliminant uniquement ce qui doit l’être ? Cela coûtera moins cher que les méthodes actuelles, car nous utiliserons moins d’énergie en ciblant des cultures spécifiques », déclare le professeur NorEddine Ghaffour, directeur de la recherche. Cette approche sélective réduit les étapes de traitement, diminue la consommation d’énergie et permet de réutiliser les nutriments naturellement présents dans les eaux locales.
Les avantages sont multiples. Pour les agriculteurs, cela signifie un accès à une eau « assez propre » pour l’hydroponie, une méthode culturale sans sol qui optimise l’usage des ressources. « Certaines cultures nécessitent plus de sel que d’autres. D’autres peuvent avoir besoin de plus de nutriments. Certaines ne tolèrent pas le bore. C’est pourquoi notre objectif est de personnaliser le traitement. Nous visons également à maintenir les coûts aussi bas que possible », explique NorEddine Ghaffour. Une fois finalisée, cette méthode pourrait non seulement renforcer l’autosuffisance alimentaire du royaume, mais aussi positionner l’Arabie saoudite comme exportatrice de savoir-faire agricole.
Des technologies clés pour une économie circulaire
Le projet explore plusieurs pistes technologiques. Parmi elles, l’osmose directe, un procédé utilisant des engrais liquides pour attirer l’eau à travers une membrane, permettant de diluer les fertilisants tout en traitant les saumures. « Nous appelons cela l’osmose « dirigée par les engrais » », précise le Pr. Ghaffour. Parallèlement, l’équipe teste des systèmes comme la nanofiltration ou l’électrodialyse, évaluant leur efficacité pour des ressources en eau variées.
Le recyclage des sous-produits joue également un rôle central. La chercheuse Alla Alpatova souligne l’importance de valoriser les résidus de désalinisation, notamment via des réacteurs biologiques anaérobies couplés à une désinfection ultraviolette. Ces techniques traitent les eaux usées municipales pour les rendre compatibles avec les cultures hydroponiques, tout en limitant les rejets de saumure. « Nous voulons résoudre le problème en proposant des solutions de désalinisation des eaux souterraines abordables et à faible consommation d’énergie, applicables par les agriculteurs locaux. Ils pourront ainsi cultiver des plantes de manière plus durable », ajoute-t-elle.
L’agriculture en environnement contrôlé (CEA) constitue un pilier du projet. En maîtrisant humidité, température et lumière, ces systèmes — qualifiés de « serres de nouvelle génération » par le Pr. Ghaffour — assurent des récoltes régulières, indépendamment des caprices du climat désertique. D’ici 2025, une installation hydroponique de taille semi-industrielle sera testée au laboratoire KAUST Plant Core Lab, avec des cultures comme la laitue ou la tomate. Ces essais permettront d’évaluer l’impact des différentes eaux traitées sur le rendement et la sécurité alimentaire.
Un modèle pour les régions arides
Outre l’innovation technique, le projet vise à cartographier les nappes phréatiques du royaume et à identifier les technologies de désalinisation les plus adaptées à chaque culture. Les configurations optimales seront testées en conditions réelles, avec pour horizon un prototype fonctionnel (niveau TRL 4-5). Les résultats guideront ensuite la conception d’un système pilote, modulable et reproductible.
Cette initiative s’inscrit dans les stratégies nationales de sécurité alimentaire, visant à réduire la dépendance aux importations et à promouvoir une agriculture résiliente. Présentées lors de la COP16 de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (2-13 décembre 2024 à Riyad), ces avancées soulignent l’engagement du royaume à innover face aux défis climatiques.
Pour le Pr. Ghaffour, il ne s’agit pas de promesses vaines, mais de solutions concrètes : « Nous développons des réponses là où les options sont limitées. En nourrissant les plantes de manière ciblée, nous contribuons aussi au développement socio-économique des zones rurales. »
En associant recherche fondamentale et applications pratiques, KAUST incarne cette ambition, démontrant que l’innovation scientifique peut transformer les contraintes en atouts. Une démarche qui, au-delà des frontières saoudiennes, offre un modèle pour les régions confrontées à l’aridité croissante des sols.
Source : Kaust