La demande mondiale de climatisation s’envole, exacerbée par le réchauffement climatique. Aussi un dilemme persiste : comment refroidir les espaces sans alourdir la facture énergétique ni aggraver la crise écologique ? Une équipe de chercheurs de l’Université de Hong Kong a peut-être trouvé une réponse audacieuse.
Points clés |
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Les systèmes traditionnels de climatisation consomment 20 % de l’électricité mondiale et utilisent des gaz à effet de serre néfastes pour l’environnement. Une équipe de chercheurs du HKUST a développé un dispositif élastocalorique capable de refroidir efficacement sans émissions. Le dispositif atteint une puissance de 1,284 kW et stabilise la température intérieure à 21-22°C en seulement 15 minutes. Cette technologie pourrait transformer l’industrie du refroidissement en offrant une solution zéro carbone, économe en énergie et adaptée aux régulations environnementales futures. |
Une avancée technologique majeure vient de voir le jour à l’Université des sciences et technologies de Hong Kong (HKUST). Une équipe dirigée par les professeurs Sun Qingping et Yao Shuhuai a conçu le premier dispositif de refroidissement élastocalorique à l’échelle du kilowatt, capable de stabiliser une température intérieure de 21-22°C en 15 minutes, même lorsque le mercure extérieur flirte avec les 31°C. Publiés dans la revue Nature, ces travaux proposent une alternative tangible aux systèmes de climatisation traditionnels, responsables de 20 % de la consommation électrique mondiale et gros émetteurs de gaz à effet de serre.
Un défi technique relevé grâce à une architecture innovante
Jusqu’à présent, les dispositifs élastocaloriques butaient sur une limite structurelle : leur puissance maximale ne dépassait pas 260 watts, insuffisante pour des applications commerciales. Les chercheurs ont identifié deux freins majeurs : la difficulté à concilier la puissance spécifique du réfrigérant et sa masse active, ainsi qu’une efficacité thermique défaillante en régime haute fréquence. Leur solution ? Un design multi-cellules associant des alliages à mémoire de forme (AMF) en série et des canaux fluides en parallèle.
Ce système connecte dix unités de refroidissement le long de l’axe de compression, chacune intégrant quatre tubes minces en nickel-titane. Avec une masse totale de 104,4 grammes, ces tubes affichent un rapport surface/volume de 7,51 mm⁻¹, optimisant les échanges thermiques. Le réseau de canaux parallèles maintient une pression inférieure à 1,5 bar, garantissant une stabilité même à 3,5 Hz, une fréquence élevée pour ce type de technologie.
Graphène et nanofluides : une synergie clé
L’équipe a également troqué l’eau distillée contre un nanofluide à base de graphène, dont la conductivité thermique surpasse celle des liquides conventionnels. À une concentration de 2 g/L, ce fluide améliore les transferts de chaleur de 50 % par rapport à l’eau, sans risque d’obstruction grâce à des nanoparticules de 0,8 micromètre, bien plus fines que les canaux de 150 à 500 micromètres. Des analyses par tomographie X ont confirmé la résistance des tubes sous une contrainte de 950 mégapascals, évitant toute déformation critique.
Résultat : sous un delta de température nul, le dispositif atteint une puissance spécifique de 12,3 W/g et une puissance totale de 1 284 watts. Dans des conditions réelles, il a refroidi un espace de 2,7 m³ de 31°C à 21°C en un quart d’heure, démontrant son potentiel pour des applications domestiques ou industrielles.
Vers une révolution des systèmes de climatisation
Comparé aux technologies solides existantes, ce système surpasse largement ses prédécesseurs. Son SCP (12,3 W/g) triple presque les performances antérieures (4,4 W/g), franchissant pour la première fois la barre symbolique du kilowatt. « Cette avancée prouve que le refroidissement élastocalorique peut sortir des laboratoires », souligne le professeur Sun. « Avec la régulation croissante des hydrofluorocarbures (HFC), leur technologie zéro émission, couplée à son efficacité énergétique, pourrait redéfinir l’industrie de la climatisation, tout en réduisant les coûts pour les consommateurs. »
Le professeur Yao anticipe des améliorations supplémentaires via de nouveaux matériaux élastocaloriques et une optimisation de l’architecture rotative. « Ces progrès pourraient diviser par deux le temps de refroidissement », ajoute-t-il.
Un écosystème de recherche et d’innovation
Ce succès s’inscrit dans une dynamique remarquée : en 2024, la même équipe avait déjà publié dans Nature Energy un dispositif multi-matériaux atteignant un record de 75 K de delta thermique. Leur dernier travail bénéficie du soutien de programmes prestigieux, dont les fonds de recherche de Hong Kong, les projets Shenzhen-Hong Kong et les subventions nationales chinoises. Plusieurs brevets internationaux ont été déposés, et des partenariats industriels sont en cours pour accélérer la commercialisation.
En combinant performance technique, sobriété énergétique et respect de l’environnement, leur innovation incarne une alternative crédible aux systèmes de climatisation traditionnels. Alors que la course aux solutions climatiques s’intensifie, elle rappelle que les réponses les plus prometteuses naissent souvent d’une relecture audacieuse des principes physiques fondamentaux.
Lexique
Élastocalorique : Technologie de refroidissement basée sur l’effet élastocalorique, où la déformation mécanique d’un matériau (comme un alliage à mémoire de forme) génère une variation de température sans émissions de gaz nocifs.
Alliage à Mémoire de Forme (AMF) : Matériau utilisé dans le dispositif, capable de retrouver sa forme initiale après déformation et produisant un effet thermique lors de ce processus.
Graphène Nanofluide : Liquide innovant à base de graphène, utilisé pour améliorer les transferts thermiques grâce à sa conductivité exceptionnelle, surpassant largement celle de l’eau distillée.
Kilowatt Échelle : Seuil de puissance atteint par le dispositif (1,284 kW), permettant son application commerciale et industrielle, contrairement aux prototypes précédents limités à quelques centaines de watts.
Zéro Émission : Caractéristique environnementale du système, qui fonctionne sans gaz à effet de serre ni hydrofluorocarbures (HFC), répondant aux exigences de durabilité et de régulation climatique.
Légende illustration : Application du dispositif de refroidissement élastocalorique à l’échelle du kilowatt (Crédit photo : Nature Press)
Article : « Achieving kilowatt-scale elastocaloric cooling by a multi-cell architecture » – DOI : 10.1038/s41586-024-08549-9
Source : HKUST