Alors que les besoins en énergie renouvelable et en production agricole s’intensifient, concilier ces deux impératifs sans accroître l’artificialisation des sols constitue un défi complexe. Les systèmes agrivoltaïques, alliant panneaux solaires et cultures, pourraient redéfinir cette équation. Mais comment optimiser leur fonctionnement pour garantir à la fois des rendements agricoles viables et une production d’énergie efficiente ? Une récente étude menée en Allemagne apporte des éléments de réponse.
Les installations agrivoltaïques transforment les surfaces cultivées en espaces multifonctionnels, atténuant les conflits d’usage des sols. Ces systèmes offrent une protection contre les aléas climatiques – comme les fortes chaleurs ou les précipitations intenses – tout en favorisant la biodiversité par la création de micro-habitats pour les pollinisateurs. Néanmoins, leur succès dépend d’une gestion rigoureuse de l’ensoleillement : trop d’ombre compromettrait les cultures, tandis qu’un positionnement inadapté des panneaux réduirait la production électrique.
Dans les régions arides, ces dispositifs ont déjà démontré leur capacité à augmenter la production florale et à étaler les périodes de floraison, soutenant ainsi les pollinisateurs tardifs. Parallèlement, le microclimat généré sous les panneaux améliore leur rendement énergétique, créant un cercle vertueux. Pour autant, chaque culture exige un équilibre lumineux spécifique, nécessitant des stratégies de contrôle personnalisées.
Stratégies d’optimisation des trackers solaires
Les trackers solaires à axe horizontal (HSAT), capables d’ajuster l’inclinaison des panneaux au fil de la journée, représentent une piste clé pour maximiser cette synergie. Leur pilotage dynamique permet de moduler l’exposition des cultures au rayonnement tout en maintenant une production électrique compétitive. Une étude publiée dans le Journal of Photonics for Energy explore cette approche à travers un cas concret : des vergers de pommiers en Allemagne du Sud-Ouest.
Les chercheurs ont développé une méthodologie de positionnement des panneaux basée sur des cibles d’irradiation précises, adaptées aux besoins des pommiers. Contrairement aux méthodes traditionnelles – comme les filets anti-grêle – qui imposent une ombre fixe, ce modèle intègre des simulations détaillées de l’ensoleillement. L’outil APyV (Agrivoltaic Python-based Virtual) utilise des techniques de ray tracing pour calculer la distribution du rayonnement solaire et son impact sur les cultures et les panneaux.
Cette approche permet d’automatiser l’optimisation des systèmes agrivoltaïques en fonction de critères agronomiques et énergétiques. Les simulations révèlent qu’un positionnement dynamique des panneaux pourrait fournir 91 % de la lumière nécessaire aux pommiers sur l’année, pour une réduction modérée de 20 % de la production électrique. Cependant, des périodes de sous-exposition subsistent, soulignant la complexité d’un équilibre parfait.
APyV : un outil de simulation innovant
L’outil APyV se distingue par sa capacité à modéliser finement les interactions entre les panneaux et les cultures. Il intègre des modèles agricoles spécifiques, permettant de simuler l’impact de chaque configuration sur la photosynthèse et le rendement énergétique. Cette modularité ouvre la voie à des applications variées, des vignobles aux cultures maraîchères, en adaptant les paramètres à chaque contexte.
Les chercheurs soulignent toutefois que ces résultats restent théoriques. « Les simulations ne remplacent pas les tests sur le terrain », précise Maddelena Bruno, auteure principale de l’étude et doctorante au Fraunhofer ISE. « Mais elles offrent une base solide pour affiner les stratégies avant déploiement. »
Si le bilan global est positif, des défis persistent : durant certaines phases de croissance, les besoins lumineux des pommiers n’ont été que partiellement satisfaits. Ces lacunes soulèvent des questions sur l’adaptabilité du système aux variations saisonnières et climatiques. Pour y répondre, l’équipe du Fraunhofer ISE a lancé des essais grandeur nature dans le verger expérimental de Nussbach, en Allemagne.
Ces tests, qui s’étendront sur la saison culturale actuelle, visent à valider les simulations et à ajuster les algorithmes de pilotage. « Chaque variété de pomme réagit différemment à l’ombre », explique Maddelena Bruno. « Les données réelles nous permettront d’affiner les modèles et de proposer des solutions sur mesure. »
Vers une validation sur le terrain
Au-delà des vergers, cette recherche ouvre des perspectives pour d’autres filières agricoles. Les systèmes agrivoltaïques pourraient ainsi s’adapter aux cultures pérennes – comme la vigne – ou aux cultures annuelles exigeantes en lumière. Les retombées économiques sont également significatives : en respectant les seuils de rendement agricole requis pour les subventions, ces installations deviennent financièrement viables pour les exploitants.
Reste à résoudre les questions d’échelle et de standardisation. « Chaque ferme a ses spécificités », rappelle Maddelena Bruno. « L’objectif n’est pas d’imposer un modèle unique, mais de fournir des outils flexibles pour que chaque agriculteur trouve son équilibre. »
Légende illustration : Agrivoltaics intègre la production d’énergie solaire à l’agriculture. Les chercheurs de l’Institut Fraunhofer pour les systèmes d’énergie solaire (ISE) explorent différents scénarios pour optimiser à la fois le positionnement des panneaux photovoltaïques et les cultures sous-jacentes. Un projet pilote à Nussbach permettra de mieux comprendre l’impact des systèmes agrivoltaïques sur les vergers de pommiers et l’environnement. Crédit : Bruno et al, doi 10.1117/1.JPE.15.032703.
M. Bruno et al., “Enhancing agrivoltaic synergies through optimized tracking strategies,” J. Photon. Energy 15(3), 032703 (2025), DOI: 10.1117/1.JPE.15.032703