Face à la croissance exponentielle de la demande électrique mondiale, les énergies fossiles montrent leurs limites. Les océans, qui recouvrent plus des deux tiers de la planète, représentent une alternative sous-exploitée pour produire une énergie propre et inépuisable. Alors que l’éolien et le solaire dominent le paysage des énergies renouvelables, une étude pionnière de l’Université Florida Atlantic révèle le potentiel insoupçonné des courants marins, identifiant des zones géographiques où cette énergie pourrait devenir un pilier de la transition énergétique.
Points forts |
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Croissance exponentielle de la demande énergétique et limitations des sources fossiles. Première évaluation globale des courants marins basée sur 43 millions de données NOAA, soulignant une ressource sous-exploitée. Identification des côtes de Floride et d’Afrique du Sud comme zones leaders, avec une densité de puissance de 2 500 W/m². Synchronisation saisonnière avec les pics de consommation électrique et eaux peu profondes favorisant l’installation de turbines. Complexité des systèmes d’ancrage en eaux profondes et besoin de données supplémentaires pour des régions comme le Brésil. Contribution potentielle à un mix énergétique durable, soutenue par des collaborations académiques et industrielles (FAU, NOAA, National Science Foundation). |
Les chercheurs de la FAU ont analysé plus de 43 millions de données collectées entre 1988 et 2021 par le programme Global Drifter Program (GDP) de la NOAA, un réseau de 1 250 bouées satellites traquant les courants océaniques. Publiés dans la revue Renewable Energy, leurs résultats offrent la première évaluation globale de la densité de puissance des courants marins, mesurant leur potentiel énergétique selon les saisons et les profondeurs.
Les conclusions sont sans équivoque : les côtes est de la Floride et sud-africaines se distinguent par des densités de puissance supérieures à 2 500 watts par mètre carré, soit 2,5 fois plus qu’un site éolien considéré comme « excellent ». Ces zones, caractérisées par des eaux peu profondes (environ 300 mètres), sont idéales pour l’installation de turbines sous-marines. À titre de comparaison, des régions comme le Japon ou le Brésil affichent des densités bien moindres à ces profondeurs, limitant leur intérêt économique.
« Environ 75 % des zones à haute densité énergétique, couvrant 490 000 km², offrent une puissance comprise entre 500 et 1 000 watts par mètre carré », explique Mahsan Sadoughipour, principal auteur de l’étude. « Ces niveaux, bien que modérés, sont significatifs pour une production durable. » Les chercheurs soulignent toutefois que la fiabilité des estimations dépend de facteurs comme la qualité des données ou les conditions environnementales, invitant à une approche nuancée.
Des disparités régionales et des défis techniques
Si les côtes américaines et africaines se révèlent prometteuses, d’autres régions posent problème. Au Brésil ou en Guyane française, la faible densité des données et la variabilité des courants compliquent les projections. « Sans mesures supplémentaires, notamment via des courantomètres acoustiques, il est difficile d’évaluer pleinement leur potentiel », note Yufei Tang, coauteur de l’étude.
La profondeur des eaux joue également un rôle clé. Là où les courants sont puissants mais situés à plus de 1 000 mètres de profondeur – comme au large du Japon ou de l’Afrique du Sud –, l’installation de turbines exige des systèmes d’ancrage sophistiqués, renchérissant les coûts. « Ces contraintes techniques nécessitent des innovations pour rendre l’exploitation économiquement viable », ajoute James VanZwieten, spécialiste en ingénierie océanique.

L’étude met également en lumière des cycles saisonniers favorables. Aux États-Unis, la densité de puissance atteint son pic entre juin et août, période de forte consommation électrique liée à la climatisation. En Afrique du Sud, le pic se situe entre décembre et février. « Ce synchronisme avec les besoins énergétiques est un atout majeur pour intégrer cette source d’énergie au réseau », souligne Stella Batalama, doyenne de l’École d’ingénierie de la FAU.
Vers une exploitation raisonnée
Financée par la National Science Foundation et le département américain de l’Énergie, leur recherche ouvre des perspectives concrètes. Le centre d’excellence FAU InETech collabore déjà avec des industriels pour tester des prototypes de turbines adaptés aux conditions extrêmes. « La Floride du Sud-Est est un laboratoire unique pour ces technologies », affiche Gabriel Alsenas, directeur du Centre national des énergies marines renouvelables du Sud-Est. « Avec ses courants puissants et prévisibles, la région pourrait devenir un modèle mondial pour l’énergie marine. »
Si les obstacles techniques et financiers restent importants, leur étude rappelle que les océans recèlent une part non négligeable de la solution énergétique du XXIe siècle. Comme le résume Mahsan Sadoughipour : « L’objectif n’est pas de remplacer d’autres énergies renouvelables, mais de compléter le mix avec une ressource stable et prévisible. » Une ambition qui, pour se concrétiser, exigera des investissements soutenus et une coopération internationale accrue.
Lexique
- Énergie des courants marins : Production d’électricité à partir du mouvement cinétique des masses d’eau océaniques, exploitée via des turbines sous-marines.
- Densité de puissance : Mesure de l’énergie disponible par unité de surface (en watts par mètre carré), déterminante pour évaluer le potentiel énergétique d’une zone.
- Global Drifter Program (GDP) : Programme de la NOAA utilisant un réseau de 1 250 bouées satellites pour cartographier les courants océaniques depuis 1988.
- Turbines sous-marines : Dispositifs installés dans les zones à fort courant pour convertir l’énergie cinétique des eaux en électricité, similaires aux éoliennes.
- Saisonnalité : Variations périodiques de la densité de puissance des courants, corrélées aux besoins énergétiques (ex. pics de climatisation en été).
- Profondeur des eaux : Facteur clé pour l’installation des turbines ; les zones peu profondes (300 m) sont privilégiées pour des raisons techniques et économiques.
- Mix énergétique : Intégration de l’énergie marine aux sources renouvelables existantes (éolien, solaire) pour diversifier la production électrique.
- Données NOAA : Ensemble de 43 millions de points collectés entre 1988 et 2021, servant de base à l’étude FAU sur l’énergie des courants.
Légende illustration : La carte montre comment le nombre de points de données dans chaque bloc est réparti. Crédit : Florida Atlantic University
Article : « Drifter-based global ocean current energy resource assessment » -DOI: 10.1016/j.renene.2025.122576
Source : FAU