Ayant reçu une copie de la lettre ouverte de l’Amicale des foreurs et des métiers du pétrole (AFMP) en date du 30 juillet et adressée à la ministre de l’Ecologie, Corinne Lepage – députée européenne – leur a répondu le 10 août dernier : "Ce que vous affirmez est un tissu de contre vérités."
Voici la teneur intégrale de la lettre :
"Vous contestez tout d’abord le fait que cette exploitation ne puisse pas se faire sans dégâts considérables sur l’environnement et la santé, et que les produits chimiques puissent se retrouver dans les nappes. Il s’agit pourtant d’une double réalité qui n’est pas uniquement fondée, comme vous le suggérez, sur le film Gasland. Le rapport publié en juin 2011[1] à la demande de la commission de l’Environnement du Parlement européen est sans concession. Il met en lumière les risques liés à la fracturation hydraulique en se référant notamment à des impacts majeurs de polluants atmosphériques, la contamination des eaux, les substances toxiques utilisées, le nombre non négligeable d’accidents aux Etats-Unis, la contamination des nappes par le méthane, le risque d’explosion de bâtiments, l’impact sur le paysage et les risques pour la santé humaine liés aux produits chimiques et radioactifs. Robert B. Jackson, de l’Université Duke aux Etats-Unis, a mis en évidence des niveaux élevés de méthane dans l’eau récoltée près des forages gaziers[2], ainsi que des substances chimiques toxiques pour l’environnement. De son côté, Paulina Jaramillo, chercheur du Département d’ingénierie et de politique publique à l’université Carnegie Mellon University et le WWF établissent que le fracking augmente les gaz à effet de serre, comme le CO2."
"Plus récemment, nous avons auditionné au Parlement européen des universitaires américains et des représentants d’associations qui, documents et prélèvements à l’appui, nous ont démontré la réalité des ravages des gaz de schiste sur la vie de nombreux américains. Votre contestation est d’autant plus mal venue que le contre film Truthland produit par vos collègues de l’Independant Petroleum Association of America est bien peu crédible. Surtout, le rapport d’experts censé rétablir la vérité, préparé par l’Energy Institute de l’université du Texas, et présenté en février dernier lors du congrès annuel de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) a été décrédibilisé en raison d’un conflit d’intérêt non rendu public[3][3]. Une ONG a révélé que le premier auteur du rapport et directeur adjoint de l’Energy Institute était aussi membre du conseil de direction et actionnaire d’une société de forage spécialisée dans le gaz de roche, lien qui n’était pas signalé dans le rapport. Bien au contraire, le document était présenté comme "indépendant de l’industrie de l’énergie" et en outre, il était affirmé qu’il avait été "revu par les pairs", ce qui était faux. De plus, les ONG ont démontré le caractère erroné ou obsolète des chiffres cités, et une présentation tronquée s’agissant des contaminations constatées. Selon l’ONG à l’origine de ces révélations, le rapport « ignore plusieurs cas de contaminations provoqués par des aspects de l’extraction distincts de la fracturation de la roche. Le rapport lui-même soulève plus d’une vingtaine de problèmes environnementaux liés à l’extraction du gaz de schiste, largement absents du communiqué de presse » annonçant le rapport. Votre lettre ouverte est dans la même veine."
Vos arguments sont plus mal fondés les uns que les autres et se heurtent aux faits.
– "Vous prétendez que les experts français sauraient réaliser des forages dans des conditions de parfaite sécurité, ce que ne sauraient pas faire les Américains « avec des pratiques non respectueuses des règles de l’art ». C’est une double plaisanterie. On voit mal en quoi les entreprises américaines, qui ont obtenu seules ou en binôme les autorisations d’explorer en France, procèderaient différemment en France qu’aux Etats-Unis. D’autant plus que l’étude du Parlement européen précitée apporte la preuve de la vacuité de l’argument. Il souligne que les mêmes conséquences ont été observées en Europe, en particulier en Allemagne avec une contamination au benzène et au mercure. Quant aux tremblements de terre, ils se sont produits au Royaume Uni en 2011, et l’expérience a été stoppée. De plus, comment comprendre l’argument qui prétend que les 6000 puits réalisés en France n’auraient donné lieu qu’à 2 pollutions mineures. Benoitement, n’étionsnous pas persuadés que la fracturation hydraulique était interdite pour rechercher le gaz de schiste en France ? Quels sont donc ces 6000 puits qui établiraient l’absence de risques de cette technologie appliquée aux gaz de schistes ?"
– "Vous prétendez que l’eau nécessaire pour les opérations de fracturation n’est utilisée qu’une fois, soit 10 000 M3 nécessaires, soit encore le dixième de ce qu’utilise un terrain de golf, sauf que le rapport du Parlement européen précise que la demande peut aller jusqu’à 45 000 M3, et que les nouveaux projets de la seule année 2010 représente 17 Mds de M3, contre 50 Mds pour tous les autres usages de l’eau. En outre, l’eau du golf retourne à la nappe ; celle utilisée pour la fracturation est très polluée et donc inutilisable sauf pour de nouvelles fracturations…"
– "Vous vous offusquez que l’on puisse parler de mitage de l’espace, au motif que la situation juridique liée à la propriété du sous-sol diffère en France et aux Etats-Unis. C’est exact, mais vous oubliez de rappeler qu’en contrepartie la France ne dispose pas de grandes étendues désertiques inhabitées. Les conséquences de la multiplication des puits seraient donc tragiques pour nos paysages et nos sites parfois exceptionnels, et souvent protégés."
– "L’argument le plus malhonnête de votre lettre ouverte est celui de l’absence de toute toxicité des produits utilisés, lesquels seraient « des produits courants d’usage ménager, cosmétique ou alimentaire (comme le guar qui est avec le sable le principal additif à l’eau de fracturation) ». La vérité sur la planète terre est toute autre. Sur les 260 substances connues utilisées pour la fracturation, qui ne sont d’ailleurs pas totalement rendues publiques, 58 sont toxiques, mutagènes, carcinogènes et/ou allergènes. Pour être plus précise, 6 figurent sur la liste des substances prioritaires dans le cadre du règlement REACH, qui doivent requérir une attention immédiate, une est bioaccumulative et toxique, 2 (naphtalène et benzène) figurent sur la liste des 33 substances prioritaires, sont toxiques pour les organismes aquatiques, 38 sont toxiques pour la santé humaine, 6 sont carcinogènes connues, 6 carcinogènes suspectées, mutagènes et 5 reprotoxiques. Avoir l’outrecuidance de parler de « position idéologique sans fondement technique » à propos de ces produits dépasse l’entendement !"
"La position idéologique est précisément du côté des foreurs. L’ultra libéralisme et la foi absolue dans la technologie, qui trouvera toutes les solutions- mais qui dans la vraie vie, évidemment ne peut pas les trouver- sont une idéologie. De la même manière, le refus d’admettre la réalité du changement climatique et son origine anthropique et le financement par le lobby pétrolier des « marchands de doute » participent d’une idéologie. L’importance du sujet mérite un autre comportement. Certes, notre sous-sol recèle peut être du gaz de schiste assurant quelques mois, voire quelques années de consommation. Certes, l’économie américaine profite d’une énergie bon marché grâce à cette exploitation dont le coût réel est assumé par les victimes d’aujourd’hui, et celles encore plus nombreuses de demain. Le moratoire décrété par plusieurs Etats témoigne des réactions des citoyens américains face à un lobby d’une puissance fantastique, qui a su obtenir le refus américain d’entrer dans le processus de Kyoto."
"En Europe, nous devons exiger une analyse complète coût-avantage avant toute décision. Cette analyse passe par une analyse de cycle de vie et une connaissance très approfondie des risques réels. En Allemagne, le Parlement de la Rhénanie du Nord-Westphalie a appelé à un moratoire jusqu’à ce que l’impact de tels procédés soit connu, et la France a voté l’interdiction du recours à la fracturation hydraulique. La question se pose aussi en termes d’impact sur le changement climatique à court terme (émissions de méthane et de CO2 due à la méthode), mais aussi à moyen et long terme en raison du retard pris pour sortir de la société du pétrole, retard qui pourrait être suicidaire."
"Certes, une partie du monde économique européen et français fantasme sur une croissance tirée par l’exploitation des gaz de schiste. Un tel choix serait dramatiquement court-termiste. Même en admettant qu’il accorde quelques mois, voire quelques années d’énergie bon marché, les coûts externes immenses pour la santé et l’environnement supportés par tous, le retard dans l’émergence d’une industrie puissante et leader dans les énergies renouvelables de toutes natures, la destruction irréversible de nos territoires densifiés pour les uns, protégés pour les autres, feraient perdre à l’économie européenne un temps précieux et constitueraient une régression massive de toutes les politiques engagées depuis 30 ans."
Note :
[2] – http://today.duke.edu/2011/05/hydrofracking
[3] – http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/07/26/etats-unis-un-rapport-sur-le-gaz-de-schiste-critique-pour-conflit-d-interets_1738429_3244.html
Corinne Lepage
Espérons que cette tribune signée C. Lepage fasse le tour des grands journaux et des tribunes économiques! En ces temps de « nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour relancer la « croissance »…. », il n’est hélas pas superflu de rappeler l’hérésie qui consiste à vouloir continuer à forer toujours plus et toujours plus profond alors que notre avenir énergétique commun passe, de toute évidence, par commencer à ouvrir les yeux… Continuer à défendre l’exploration et l’exploitation des gaz et pétrole de schiste en 2012, c’est une nvlle fois faire preuve d’une grande incompétence et d’un cruel manque de vision pour le futur. Les petits soldats bien élevés et très (trop) bien payés de l’industrie du gaz et du pétrole peuvent toujours répétés en boucle les msg appris par coeur pour défendre leur industrie, leur discours reste ce qu’il a toujours était : ringard et complétement dépassé. Défendre le gaz de schiste au prétexte que les réserves (probables) ont la capacité de se substituer er – en partie seulement – aux énormes quantités de gaz, de pétrole et de charbon importées par l’UE, c’est l’hôpital qui se fou de la charité! Par respect pour notre siècle, merci de tourner définitivement la page sur cette ressource du passé qu’est le gaz de schiste! Le vrai avenir, c’est l’exploitation intelligente des ressources énergétiques extensives. Par opposition au pillage actuel des ressources énergétiques fossiles, plus ringard tu meurs.
Merci madame Lepage, d’avoir désamorcé cette tentative de crédibiliser le prodécé d’extraction qui pollue les nappes phréatiques; il y en aura d’autres et c’est normal: pétrole & nucléaire jouent à court terme au détriment de la population. Comment leur en vouloir après des années de financement en argent liquide de la main à la main, alors que passer de la cueillette à l’agriculture a pris quelques millénaires. En tout cas, deux choses sont certaines 1°) ne pas mentionner un conflit d’intéret même potentiel doit être poursuivi et sanctionné, que ce soit pour des scientifiques, politiques ou personnes d’entreprise. Ce que notre république presque bananière a du mal à assurer. 2°) il faut investir dans la transition énergétique, notamment par un super-réseau électrique sur plusieurs fuseaux horaires pour bénéficier d’une relative stabilité d’approvisionnement et pour assurer une activité aux groupes pétroliers.
Heureusement qu’il existe encore des peronalités qui gardent leur libre arbitre.
Qui n’a pas vu les images des robinets américains qui peuvent s’enflammer tellement il y a des gaz de fracturation dans l’eau ? C’est une nouvelle technique pour disribuer le gaz non plus par GDF mais par Véolia ? Ce qui est incroyable, c’est que les lobbys pétroliers soient si stupides, et qu’ils nient de telles évidences. Bravo Corinne !
ça c’est de la réponse.
BRAVO c’est bien envoyé à ces foreurs à ces cow boys sans foi ni loi C’est une idéologie du mensonge qui rappelle autre chose dans l’histoire et il faut donc les combattre jusqu’au bout. Mais ils vont se taire illustrant ainsi par leur attitude le vieil adage « le silence est le complice du Mal »
Corinne, vous avez, enfin trouvé une tribune pour vous exprimer après votre fiasco à la (non) candidature aux présidentielles. Vous avez raison, il ne faut surtout pas chercher des façons innovantes de forer avec la plus grande protection possible, des nappes phréatiques entre autres. Comme cela, vous pourrez bientôt écrire une autre lettre ouverte pour demander l’interdiction de la géothermie profonde, pourtant seule vraie enr. Quant au gaz sortant des robinets, image non truquée, l’honnêteté aurait voulu qu’onprécisât que ce phénomène existait dans cette région bien avant l’exploitation des « shale gas » (puisque ça se passe aux states). Mais l’on accordera que ladite exploitation n’a pas dû arranger les choses en ce domaine !
En Europe, nous devons exiger une analyse complète coût-avantage avant toute décision. Cette analyse passe par une analyse de cycle de vie et une connaissance très approfondie des risques réels. On ne peut pas faire d’analyse coût-avantage et avoir une « connaissance approfondie des risques réels » sans faire de forages exploratoires, des éssais et des tests. Elle se moque du monde.
C’est dommage qu’avec une si bonne argumentation, vous restiez dans le sensationnel. Il est peut-être temps de trouver un terrain d’entente, vous ne croyez pas ? Parce qu’en plus, vous en convenez : « En Europe, nous devons exiger une analyse complète coût-avantage avant toute décision. Cette analyse passe par une analyse de cycle de vie et une connaissance très approfondie des risques réels. » Sur ce point, c’est également ce qu’appellent les foreurs. Vous minimisez les réserves, vous prenez des cas extrêmes dans les produits et les techniques utilisés aux US. Pourtant même l’Allemagne que tout le monde érige en modèle envisage un « pont fossile » car les ENR compétitives ne sont pas prêtes, et les réseaux ne sont pas modernisés. Ne pas exploiter les gaz de schiste en France, c’est consommer du gaz de schiste du Maghreb et du gaz de Russie. Savez-vous dans quelles conditions ils seront extraits ? Mieux qu’on ne le ferait en France ? J’en doute. Pourquoi alors refuser le dialogue et insulter une industrie qui essaie de jouer la transparence et la bonne volonté ? Je ne suis pas pour qu’on leur donne carte blanche, mais il serait peut-être temps de ne pas être hypocrite : nous avons un énorme déficit commercial car nous important quasiment toutes nos hydrocarbures. Et les ENR, quand elles seront prêtes, nous les emploierons. Le gouvernement peut maintenir le cap pour les développer. Il ne s’agit pas de retarder la sortie du pétrole, il s’agit de le faire le mieux possible. Ce n’est pas en faisant fuir notre industrie au Qatar, le pays où le carbone est moins cher, que nous allons sauver la planète. Et vous le savez. Et vous continuez à refuser l’idée d’une stratégie énergétique raisonnable.
Les arguments de cette lettre sont parfaitement exacts. Mais il faudra que les gouvernants résistent à la grande tentation de saisir cette manne : la France possède le 2eme potentiel de gaz de schiste en Europe après la Pologne. Et la consommation, qu’il faut satisfaire en achetant à la Russie, en Norvège, en Algérie ou aux Pays-Bas, ne cesse de croître. La facture s’élève bon an mal an à 10 milliards d’euros… « There will be gas » sur overcast.fr
« tout comme il essaye à chaque fois de faire croire qu’on utilise de la fracturation hydraulique dans la géothermie. » Je me demande tout de même si la géothermie à haute température n’utilise un peu la fracturation hydraulique. Mais attention, la fracturation hydraulique géothermique c’est pas la même chose que la fracturation hydraulique gazogène. On a le même phénomène avec la radiocativité nucléaire qui est très différente des autres !
Ben, c’est vraiment dommage car je pensais que le gaz de schiste permettrait de sortir rapidement du nucléaire. Bon, tanpis on gardera encore un peu le nucléaire.
Cela fait plaisir de voir qu’il existe encore des ministres qui ne sont pas seulement obnibulés par la recherche du profit quel qu’il soit et qui s’impliquent réellement dans la protection de la Nature et de la vie, quelle soit humaine ou non. Le gaz de schiste et tous ses voisins, pétrole, nucléaire etc, ne devrait plus avoir leur place dans le modèle énergétique actuel, il faudrait maintenant que le monde accepte ce fait. Mais encore faudrait-il que les citoyens ouvrent les yeux.
J’ai oublié de mettre le lien vers la discussion sur la fracturation dans la géothermie profonde :
l’argumentaire de C Lepage est convaincant, et ce n’est pas la première fois qu’elle s’attaque à Total, non sans succès. Et si son intérêt personnel va dans le sens de l’intérêt collectif, tant mieux! Sachant qu’elle vise l’association des foreurs, bien connue pour sa philanthropie! Sinon j’ai une autre idée: je vais me passer du gaz (je suis dessus).