Avez-vous déjà observé un orage et pensé qu’il pourrait produire le même type de rayonnement que les supernovas ? Une découverte surprenante des satellites de la NASA dans les années 1990 a révélé que les orages émettent des rayons gamma, modifiant notre compréhension des phénomènes atmosphériques.
Les satellites de la NASA, tels des sentinelles cosmiques, scrutaient l’espace à la recherche de particules de haute énergie provenant d’événements célestes lointains. Contre toute attente, ils ont capté des émissions de rayons gamma venant de la Terre elle-même. Les chercheurs ont rapidement établi que les orages en étaient la source, mais la fréquence de production restait un mystère en raison des limitations techniques des satellites.
Une mission d’observation unique
Pour percer ce mystère, des scientifiques ont transformé un avion espion U2 de la NASA en un véritable laboratoire volant. Survolant un océan de nuages, cet observatoire aérien leur a permis d’étudier de près la production de rayons gamma dans les orages. Les résultats, publiés dans la revue Nature en octobre 2024, ont dépassé toutes les attentes.
Steve Cummer, professeur d’ingénierie à l’Université Duke et co-auteur des études, partage son enthousiasme : «Les orages se sont révélés être de véritables usines à rayons gamma. Presque tous les gros orages en génèrent en permanence, sous diverses formes. C’est comme si nous avions découvert un nouveau monde caché au cœur des tempêtes.»
Le mécanisme de production des rayons gamma
La formation des rayons gamma dans les orages s’explique par un ballet électrique complexe. Les mouvements d’air dans l’orage créent une séparation des charges électriques, générant un champ électrique colossal. Ce champ, comparable à des millions de batteries alignées, accélère les particules chargées à des vitesses extrêmes. Les collisions qui en résultent déclenchent des réactions nucléaires, produisant des rayons gamma, de l’antimatière et d’autres formes de rayonnement.
L’équipe de recherche a effectué 10 vols au-dessus de gros orages tropicaux au sud de la Floride. Sur 9 vols, ils ont observé une production continue de rayons gamma, bien plus dynamique que prévu. Nikolai Østgaard, professeur de physique spatiale à l’Université de Bergen et responsable du projet, décrit le phénomène : «La dynamique des nuages orageux émettant des rayons gamma ressemble à celle d’un énorme chaudron bouillonnant, tant dans son schéma que dans son comportement.»
Des implications pour la compréhension des orages
Les chercheurs estiment que plus de la moitié des orages tropicaux produisent des rayons gamma. Leur production constante pourrait agir comme une soupape de sécurité, limitant l’accumulation d’énergie dans l’orage, à l’instar d’une marmite laissant échapper de la vapeur pour éviter la surpression.
L’étude a également révélé deux nouveaux types d’émissions gamma jamais observés auparavant. L’un est extrêmement bref, durant moins d’un millième de seconde, tandis que l’autre est une séquence d’environ 10 émissions individuelles se répétant sur un dixième de seconde. Leurs découvertes pourraient être liées aux processus d’initiation des éclairs, un phénomène encore mal compris.
Les implications de recherche sont vastes. La compréhension approfondie des processus de rayonnement gamma dans les orages pourrait améliorer les prévisions météorologiques, la sécurité aérienne et même inspirer de nouvelles technologies d’énergie propre. Les scientifiques envisagent également d’utiliser ces observations pour étudier l’impact des orages sur l’atmosphère et le climat.
Pas de danger pour le public
Mais pour le professeur Cummer, il n’y a pas lieu de s’inquiéter : «La quantité de rayonnement produite ne serait dangereuse que si une personne ou un objet se trouvait très près de la source. Les avions évitent de voler dans les cœurs actifs des orages en raison de la turbulence et des vents extrêmes.»
Les recherches nous dévoilent ici de nouveaux aspects des orages et des phénomènes atmosphériques. Elles démontrent que même des événements naturels familiers peuvent receler des secrets insoupçonnés, attendant d’être découverts par la science moderne. Chaque éclair qui illumine le ciel nocturne pourrait désormais être perçu comme le signe visible d’un processus bien plus complexe se déroulant au cœur des nuages.
Article : Marisaldi, M., Østgaard, N., Lang, T., Sarria D., Mezentsev, A., et al. Highly dynamic gamma-ray emissions are common in tropical thunderclouds, Nature Letter, DOI: 10.1038/s41586-024-07936-6 (2024)
Légende illustration : En volant à plusieurs kilomètres au-dessus d’énormes orages tropicaux, un avion espion U2 réaménagé a pu découvrir qu’un phénomène connu qui crée des rafales de rayons gamma est beaucoup plus courant – et beaucoup plus complexe – qu’on ne le pensait. Crédit : Duke