Sur les terres fertiles d’Alsace, une installation révolutionne la gestion des émissions de carbone. Portée par la société suisse neustark et ses partenaires locaux, cette unité de liquéfaction de CO₂ biogénique incarne une alliance inédite entre agriculture, industrie et recyclage. Son objectif : convertir un résidu en ressource, tout en accélérant la transition vers la neutralité climatique.
Le processus débute au sein du collectif ABH, regroupant quinze agriculteurs alsaciens. Leur unité de méthanisation, alimentée par 8 200 tonnes de fumier, 5 000 tonnes de lisier et 23 000 tonnes de résidus végétaux annuels, produit un biogaz composé de 60 % de méthane et 40 % de CO₂. Purifié en biométhane, le méthane alimente 5 000 foyers locaux. Jusqu’à présent, le CO₂ issu de la fermentation était relâché dans l’atmosphère. Désormais, il est capté à la source puis acheminé vers l’unité de neustark, située à quelques mètres.
Là, le CO₂ est comprimé et refroidi à -20 °C pour être transformé en liquide. Conditionné dans des citernes, il est transporté vers des sites de stockage, dont la carrière de béton Fehr. Injecté dans des gravats de démolition, le CO₂ minéralise ces matériaux, les transformant en puits de carbone permanents. « Cette synergie entre agriculture, industrie et recyclage illustre notre vision d’une économie circulaire au service de l’environnement », précise Valentin Gutknecht, co-fondateur de neustark. « Notre approche valorise des ressources locales, évitant les émissions tout en renforçant l’autonomie énergétique du territoire. »
Avec une capacité annuelle de 4 200 tonnes de CO₂ traitées, l’installation évite l’émission de 3 900 tonnes de carbone par an – l’équivalent de la dépollution de 850 trajets Paris-New York en avion. Cette performance repose sur une technologie de minéralisation brevetée, garantissant un stockage permanent à 93 % sur la durée de vie du béton. « Le CO₂ est piégé chimiquement, ce qui en fait l’une des solutions les plus fiables pour les émissions négatives », commente Régis Huss, président d’ABH. « Ce partenariat s’inscrit dans la synoptique des ambitions initiales du projet de la SAS ABH avec la valorisation de la matière organique. »
Pour ABH, ce projet complète une stratégie énergétique ambitieuse. Outre la méthanisation, leur centrale solaire produit 300 MWh annuels, tandis que la valorisation du CO₂ affine le bilan carbone. « Après avoir obtenu la certification RED 2 en 2023, il ne restait plus qu’à trouver une valorisation pour le CO₂ rejeté. Neustark s’est avérée être la solution idéale », ajoute Régis Huss.
À l’échelle européenne, neustark déploie ses solutions sur 31 sites. En France, trois autres installations sont prévues d’ici fin 2024, notamment avec Lafarge. « Notre modèle repose sur des synergies territoriales », explique Valentin Gutknecht. « En associant producteurs, industriels et recycleurs, nous réduisons les coûts logistiques tout en maximisant l’impact environnemental. »
Selon le GIEC, 10 milliards de tonnes de CO₂ devront être éliminées annuellement d’ici 2050 pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. « L’Alsace montre que ces solutions existent déjà », estime Valentin Gutknecht. « Le défi est de les déployer à grande échelle, en s’appuyant sur des écosystèmes locaux. » Avec 80 collaborateurs, neustark ambitionne de transformer le béton de démolition – premier déchet mondial – en un allié majeur de la décarbonation. Une ambition qui, depuis une ferme alsacienne, redéfinit les contours de l’industrie verte.
Produire du béton bas carbone grâce à la technologie de neustark
Le CO₂, capturé à un site de biogaz en proximité lors de la production de biométhane, est transporté vers l’installation de production de Fehr. Là, il est injecté au matériau de démolition, où il se minéralise en quelques heures, accélérant un processus naturel qui prendrait normalement des décennies. De plus, neustark a développé une solution pour traiter l’eau résiduelle générée pendant la fabrication du béton : le CO₂ est injecté directement dans les eaux résiduelles, où il réagit avec les particules minérales en suspension pour former des carbonates stables. Ce procédé permet non seulement de stocker le CO₂ de manière permanente, mais aussi de réduire les coûts liés à l’élimination de ces eaux.
À propos de neustark : Basée à Berne, l’entreprise développe des solutions de minéralisation de CO₂ pour les déchets minéraux. Ses technologies stockent durablement le carbone dans des matériaux comme le béton, contribuant à la neutralité climatique.
À propos d’ABH : Coopérative agricole alsacienne, ABH produit du biométhane à partir de déchets organiques, couvrant les besoins énergétiques de 5 000 foyers. Son unité de méthanisation, dotée d’une capacité de 30 GWh/an, illustre l’essor des énergies renouvelables territoriales.
Légende illustration : Le centre de recyclage de l’usine de préfabrication de FEHR Groupe à Bischwiller.
Source : CP / Neustark