La supraconductivité, phénomène fascinant où les électrons se déplacent sans résistance, demeure un domaine d’exploration scientifique aux multiples facettes. Les matériaux bidimensionnels, notamment le graphène à angle magique, ont récemment attiré l’attention des chercheurs en raison de leurs propriétés électroniques inédites. Une équipe internationale a réussi à mesurer pour la première fois une caractéristique clé de ces matériaux : leur rigidité superfluide. Cette découverte jette une lumière nouvelle sur les mécanismes sous-jacents à leur comportement.
Un saut technologique dans la mesure de la rigidité superfluide
Des physiciens du MIT et de Harvard ont accompli une prouesse technique en mesurant directement la rigidité superfluide du graphène à angle magique (MATBG). Leur méthode repose sur une approche innovante qui combine précision expérimentale et ingéniosité technique. L’équipe a utilisé un résonateur à micro-ondes fabriqué en aluminium, auquel ils ont connecté une fine couche de MATBG. «Nous avons pensé qu’il serait judicieux de combiner l’aluminium, que nous utilisons couramment dans nos recherches, avec une petite portion de MATBG», a affirmé William D. Oliver, dont les propos ont été rapportés dans l’étude publiée dans Nature. Cette solution s’est avérée particulièrement adaptée pour préserver l’intégrité structurelle du matériau.
L’assemblage complexe impliquait de manipuler les couches atomiques avec une extrême délicatesse. Pour y parvenir, les chercheurs ont recouru à une technique consistant à découper très finement le MATBG avant de déposer une fine couche d’aluminium sur son bord exposé. Ce procédé garantissait un contact quasi parfait entre les deux matériaux, minimisant ainsi toute perte de signal lors de la transmission des micro-ondes.
Une rigidité superfluide surprenante
Les résultats obtenus ont révélé une rigidité superfluide bien supérieure aux prédictions théoriques classiques. Les scientifiques ont observé une augmentation décuplée par rapport aux attentes initiales, une observation confirmée par Miuko Tanaka, co-auteure principale de l’étude. Elle a souligné que cette hausse correspondait précisément aux prévisions issues de la géométrie quantique. «Cette rigidité accrue constitue une preuve irréfutable du rôle joué par la géométrie quantique dans ce type de matériau», a-t-elle expliqué, ajoutant une dimension nouvelle à la compréhension des interactions électroniques.
Cette découverte repose sur la manière dont les états quantiques des électrons interagissent dans une configuration bidimensionnelle. La géométrie quantique, bien que conceptuelle, influence directement les propriétés physiques du MATBG. Les chercheurs ont également noté que la température affectait cette rigidité de manière cohérente avec les modèles théoriques existants.

Une méthodologie adaptable à d’autres matériaux
La méthode développée pour cette expérience pourrait s’appliquer à d’autres matériaux bidimensionnels. Les techniques mises en œuvre permettent désormais de sonder des systèmes complexes avec une précision inégalée. «Il existe toute une famille de supraconducteurs 2D qui n’attend que d’être explorée», a déclaré Joel Wang, mettant en exergue l’immense potentiel de cette approche. Les chercheurs envisagent déjà d’étendre leurs investigations à d’autres structures similaires, telles que le graphène tricouche torsadé.
En parallèle, une étude complémentaire menée conjointement par les groupes de recherche de Philip Kim à Harvard et de Pablo Jarillo-Herrero au MIT a porté sur le graphène tricouche torsadé. Publiée dans le même numéro de Nature, elle enrichit les connaissances sur les mécanismes sous-jacents à la supraconductivité dans ces matériaux.
Implications pour la physique quantique
Au-delà de leur intérêt fondamental, les résultats obtenus offrent des pistes pour améliorer les dispositifs quantiques actuels. Les supraconducteurs bidimensionnels pourraient jouer un rôle central dans le développement de nouvelles technologies, notamment dans le domaine des qubits supraconducteurs. Leur capacité à maintenir des courants sans résistance pourrait être exploitée pour concevoir des circuits plus performants et plus robustes.
Légende illustration : Les physiciens ont mesuré la facilité avec laquelle un courant de paires d’électrons, représentées en jaune et blanc, circule sans résistance à travers le graphène « à angle magique », représenté par les réseaux noirs. Crédit : Eli Krantz, Krantz NanoAr
Les travaux réalisés ont bénéficié du soutien financier de plusieurs institutions prestigieuses, incluant l’U.S. Army Research Office, la National Science Foundation, et l’U.S. Air Force Office of Scientific Research. Ces contributions ont permis de financer une recherche ambitieuse, dont les retombées pourraient s’étendre bien au-delà des laboratoires universitaires.
Source : MIT