Produire de l’hydrogène propre en scindant des molécules d’eau par électrolyse est une technologie clé pour la décarbonation, mais elle bute sur un rendement énergétique insuffisant qui entrave son déploiement massif. Si le procédé permet de séparer les molécules d’eau (H₂O) en hydrogène (H₂) et oxygène (O₂), il requiert en pratique bien plus d’énergie que les calculs théoriques ne le prédisent.
Points forts |
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Les molécules d’eau changent d’orientation avant de se diviser en hydrogène et en oxygène Ces acrobaties nécessitent une énergie importante, ce qui rend la réaction inefficace Les chercheurs ont quantifié le coût énergétique précis du changement d’orientation L’efficacité est fortement influencée par les niveaux de pH de l’eau |
Des chercheurs de l’Université Northwestern, aux États-Unis, en collaboration avec des scientifiques des laboratoires nationaux d’Argonne et du Pacific Northwest, ont mis en lumière un mécanisme moléculaire jusqu’alors insoupçonné qui explique en partie cette inefficacité. Leurs travaux, publiés dans la revue Nature Communications, identifient non seulement une étape énergivore méconnue mais suggèrent également une piste concrète pour l’atténuer, en jouant sur l’alcalinité de l’eau.
Le défi énergétique de la séparation de l’eau réside principalement dans l’une de ses deux demi-réactions : celle qui produit de l’oxygène, connue sous le nom de réaction d’évolution de l’oxygène (OER). L’autre demi-réaction, générant l’hydrogène, est comparativement moins problématique. Théoriquement, une tension électrique de 1,23 volt devrait suffire pour initier la décomposition de l’eau. Or, dans les systèmes réels, il faut souvent appliquer une tension supérieure, typiquement entre 1,5 et 1,6 volt, voire davantage selon les matériaux d’électrode utilisés. Ce surpotentiel, cette énergie supplémentaire nécessaire, représente un coût non négligeable qui grève la rentabilité économique de la production d’hydrogène par la méthode, en particulier lorsqu’on vise une production massive et compétitive face aux énergies fossiles.
La Pirouette Inattendue des Molécules d’Eau
Pour comprendre l’origine de ce surcoût énergétique au niveau moléculaire, l’équipe dirigée par le professeur Franz Geiger, chimiste à Northwestern, s’est intéressée à l’interface entre l’eau et une électrode composée d’hématite. L’hématite, un oxyde de fer (Fe₂O₃), est un matériau abondant, peu coûteux et étudié pour son potentiel comme catalyseur de l’OER, bien qu’il souffre justement d’une efficacité limitée. Grâce à une technique optique sophistiquée développée dans leur laboratoire, la génération de seconde harmonique résolue en phase (PR-SHG), les scientifiques ont pu observer en temps réel l’arrangement et le comportement des molécules d’eau directement au contact de la surface de l’électrode pendant l’application d’une tension électrique.
Leurs observations révèlent un phénomène surprenant : juste avant que la réaction d’oxydation ne démarre et que les atomes d’oxygène ne soient cédés, les molécules d’eau adsorbées à la surface de l’électrode effectuent une sorte de basculement (« flip » en anglais). Initialement, sous l’influence de la charge négative de l’électrode, les molécules d’eau tendent à présenter leurs atomes d’hydrogène (partiellement positifs) vers la surface. Cependant, pour que le transfert d’électrons nécessaire à la réaction puisse se produire – depuis l’atome d’oxygène de l’eau vers l’électrode –, il faut que l’atome d’oxygène s’approche de la surface. Les chercheurs ont constaté que lorsque le champ électrique appliqué devient suffisamment intense, il force les molécules d’eau à se réorienter, à « basculer », pour présenter leur atome d’oxygène vers l’électrode.
Cette réorientation n’est pas anodine. L’équipe de Northwestern a réussi à quantifier l’énergie associée à ce basculement moléculaire. Leurs calculs indiquent que l’énergie requise pour accomplir cette pirouette est significative et correspond approximativement à l’énergie qui maintient la cohésion des molécules dans l’eau liquide. « Nous soutenons que l’énergie requise pour faire basculer l’eau est un contributeur significatif à la nécessité de cette énergie supplémentaire », indique Franz Geiger. Identifier ce mouvement comme une étape nécessaire et énergétiquement coûteuse du processus apporte un éclairage nouveau sur le « goulot d’étranglement » de l’OER.
L’Influence Bénéfique de l’Alcalinité
Plus intéressant encore pour les applications potentielles, l’étude démontre que le coût énergétique de ce basculement moléculaire est sensible au pH de l’eau. Les chercheurs ont observé qu’en augmentant le pH, c’est-à-dire en rendant l’eau plus alcaline (basique), l’énergie nécessaire pour provoquer le basculement des molécules diminue.
Par conséquent, la réaction globale devient plus facile à réaliser dans des conditions plus alcalines. Inversement, à des pH plus bas (en dessous de 9 dans leurs expériences sur l’hématite), le travail requis pour cette réorientation devient si élevé qu’il entrave considérablement, voire bloque, le processus électrochimique. Cette découverte suggère qu’ajuster finement les conditions de pH pourrait être un levier pour améliorer l’efficacité énergétique de l’électrolyse.

Vers des Catalyseurs Plus Efficaces et Abordables
Ces résultats prennent une importance particulière dans la quête de catalyseurs pour l’OER qui soient à la fois performants et économiques. L’iridium est actuellement l’un des catalyseurs les plus efficaces, mais sa rareté – il provient principalement d’impacts météoritiques – et son coût exorbitant limitent son utilisation à grande échelle. Des matériaux comme l’hématite ou les oxydes de nickel, bien que moins performants intrinsèquement, sont beaucoup plus abondants et abordables. Comprendre les mécanismes fins qui limitent leur efficacité, comme le basculement des molécules d’eau identifié ici, fournit des pistes pour leur amélioration.
Notablement, l’équipe de Geiger avait observé un comportement de basculement similaire dans une étude antérieure portant sur une électrode de nickel, publiée dans Science Advances. La confirmation du phénomène sur un matériau semi-conducteur comme l’hématite suggère qu’il pourrait s’agir d’un comportement assez général à l’interface électrode/eau lors de l’OER. « Nous savons maintenant que le basculement de l’eau se produit à la fois sur des électrodes métalliques et semi-conductrices », souligne M. Geiger. « Il s’agit donc probablement d’un comportement plus général que nous ne le pensions initialement. Maintenant, nous pouvons optimiser les conditions où le basculement de l’eau est le plus facile. »
En conclusion, cette recherche fondamentale, en décortiquant une étape élémentaire de l’électrolyse de l’eau, fournit des leviers potentiels pour améliorer l’efficacité de la production d’hydrogène vert. La conception de nouveaux matériaux catalytiques pourrait désormais viser spécifiquement à abaisser l’énergie requise pour cette réorientation moléculaire, tandis que l’optimisation des conditions opératoires, notamment le pH, apparaît comme une stratégie complémentaire.
Bien que le chemin vers une application industrielle directe nécessite encore des développements, cette meilleure compréhension des phénomènes à l’échelle moléculaire contribue à l’effort de développement de solutions énergétiques durables et économiquement viables. L’étude mentionne même une application lointaine mais fascinante : la production d’oxygène respirable pour de futures missions sur Mars, où l’eau pourrait être une ressource clé.
Article : « Water flipping and the oxygen evolution reaction on Fe2O3 nanolayers » – DOI : 10.1038/s41467-025-58842-y