Les ordinateurs quantiques, bien que prometteurs, sont confrontés à un problème de compromis entre la complexité des opérations et la tolérance aux erreurs. Une équipe de chercheurs suédois a mis au point un système unique qui pourrait bien résoudre ce dilemme, ouvrant ainsi la voie à des ordinateurs quantiques plus robustes et capables de calculs plus longs.
Pour que les ordinateurs quantiques aient un impact significatif sur la société, les chercheurs doivent d’abord surmonter des obstacles majeurs. Les erreurs et le bruit, causés par des interférences électromagnétiques ou des fluctuations magnétiques, font perdre aux qubits leurs états quantiques, limitant ainsi leur capacité à poursuivre les calculs. Le temps de calcul d’un ordinateur quantique est donc actuellement restreint.
De plus, pour résoudre des problèmes complexes, il est nécessaire de contrôler les états quantiques. Sans un système de contrôle efficace, les états quantiques peuvent être considérés comme inutiles, à l’instar d’une voiture sans volant.
Un problème de compromis
Le domaine de la recherche quantique est confronté à un dilemme. Les systèmes quantiques permettant une correction efficace des erreurs et des temps de calcul plus longs sont souvent déficients dans leur capacité à contrôler les états quantiques, et vice versa. Cependant, une équipe de chercheurs de l’Université de Technologie de Chalmers a trouvé une solution à ce problème.
« Nous avons créé un système qui permet des opérations extrêmement complexes sur un système quantique multi-états, à une vitesse sans précédent », précise Simone Gasparinetti, leader du 202Q-lab à l’Université de Technologie de Chalmers et auteur principal de l’étude.
Déviation du principe des deux états quantiques
Les bits, éléments de base des ordinateurs classiques, ont soit la valeur 1 soit 0. En revanche, les qubits, éléments de base des ordinateurs quantiques, peuvent avoir la valeur 1 et 0 simultanément, grâce au phénomène de superposition. Cette caractéristique permet aux ordinateurs quantiques de réaliser des calculs simultanés avec un potentiel de calcul énorme.
Les qubits, cependant, sont extrêmement sensibles aux erreurs. Les chercheurs ont donc cherché des moyens de détecter et de corriger ces erreurs. Le système créé par les chercheurs de Chalmers repose sur l’informatique quantique à variables continues et utilise des oscillateurs harmoniques pour encoder l’information de manière linéaire. Ces oscillateurs, constitués de fines bandes de matériau supraconducteur, sont compatibles avec les ordinateurs quantiques supraconducteurs les plus avancés.
« Pensez à un qubit comme à une lampe bleue qui, mécaniquement quantique, peut être allumée et éteinte simultanément. En revanche, un système quantique à variable continue est comme un arc-en-ciel infini, offrant un gradient de couleurs sans fin. Cela illustre sa capacité à accéder à un nombre immense d’états, offrant des possibilités bien plus riches que les deux états du qubit », explique Axel Eriksson, chercheur en technologie quantique à l’Université de Technologie de Chalmers et auteur principal de l’étude.
Combattre le problème de compromis entre complexité des opérations et tolérance aux fautes
Bien que l’informatique quantique à variables continues basée sur des oscillateurs harmoniques permette une meilleure correction des erreurs, sa nature linéaire ne permet pas de réaliser des opérations complexes. Les tentatives de combinaison des oscillateurs harmoniques avec des systèmes de contrôle tels que les systèmes quantiques supraconducteurs ont été entravées par l’effet Kerr, qui brouille les nombreux états quantiques offerts par l’oscillateur.
En plaçant un dispositif de contrôle à l’intérieur de l’oscillateur, les chercheurs de Chalmers ont réussi à contourner l’effet Kerr et à résoudre le problème de compromis. Le système préserve les avantages des oscillateurs harmoniques, tels qu’une voie efficace en ressources vers la tolérance aux fautes, tout en permettant un contrôle précis des états quantiques à grande vitesse. Le système est décrit dans un article publié dans Nature Communications et pourrait ouvrir la voie à des ordinateurs quantiques plus robustes.
« Notre communauté a souvent essayé de tenir les éléments supraconducteurs à l’écart des oscillateurs quantiques pour ne pas brouiller les états quantiques fragiles. Dans ce travail, nous avons défié ce paradigme. En intégrant un dispositif de contrôle au cœur de l’oscillateur, nous avons pu éviter de brouiller les nombreux états quantiques tout en étant capables de les contrôler et de les manipuler. En conséquence, nous avons démontré un nouvel ensemble d’opérations de porte réalisées à très grande vitesse », conclut Simone Gasparinetti.
Légende illustration : Le schéma de circuit à gauche illustre la manière dont l’équipe de chercheurs de Chalmers a pu activer et désactiver différentes opérations en envoyant des impulsions de micro-ondes (flèche ondulée) au système de contrôle intégré dans l’oscillateur.Les chercheurs ont utilisé le système pour générer un état de phase cubique qui est une ressource quantique pour la correction quantique des erreurs. Les zones bleues sur la droite sont des régions négatives de Wigner – une signature claire des propriétés quantiques de l’état.
L’article : « Universal control of a bosonic mode via drive-activated native cubic interactions » a été menée par Axel M. Eriksson, Théo Sépulcre, Mikael Kervinen, Timo Hillmann, Marina Kudra, Simon Dupouy, Yong Lu, Maryam Khanahmadi, Jiaying Yang, Claudia Castillo- Moreno, Per Delsing et Simone Gasparinetti, au département de microtechnique et de nanoscience de l’université de technologie de Chalmers. L’étude est publiée dans Nature Communications. 10.1038/s41467-024-46507-1