L’essor exponentiel des technologies numériques a placé les centres de données au cœur d’un paradoxe. Alors que leur rôle dans la gestion et le stockage des informations s’est amplifié, leur empreinte énergétique est devenue un sujet incontournable. Une question mérite d’être posée : comment allier performance technologique et sobriété énergétique sans compromettre l’innovation ?
Un défi énergétique sous-estimé
Chaque image téléchargée sur les réseaux sociaux, chaque fichier sauvegardé dans le cloud repose sur une infrastructure massive de centres de données. Ces infrastructures consomment annuellement environ 200 térawattheures d’électricité, soit près d’un pour cent de la consommation mondiale d’énergie. Cette demande colossale a poussé les chercheurs à explorer des alternatives pour atténuer l’impact énergétique. Un projet mené conjointement entre l’Université Johannes Gutenberg de Mayence (JGU) en Allemagne et Antaios, une entreprise française spécialisée dans les mémoires magnétiques, a permis de concevoir une solution particulièrement innovante.
Leur collaboration a abouti à la mise au point d’une technologie fondée sur la mémoire magnétique aléatoire assistée par effet de couple spin-orbite, communément appelée SOT-MRAM. La technologie ainsi développée se distingue non seulement par son efficacité énergétique mais aussi par sa polyvalence, adaptée tant aux smartphones qu’aux supercalculateurs.
Une innovation scientifique majeure
Le prototype conçu par l’équipe internationale pourrait redéfinir les standards de stockage et de traitement des données. «Ce prototype est unique en son genre et pourrait révolutionner le stockage et le traitement des données. Il s’inscrit dans les objectifs mondiaux de réduction de la consommation d’énergie et ouvre la voie à des solutions de mémoire plus rapides et plus efficaces.,» a affirmé le Dr. Rahul Gupta, ancien chercheur postdoctoral à l’Institut de physique de JGU. Selon lui, cette avancée s’inscrit dans une démarche globale visant à réduire la consommation énergétique tout en améliorant les performances.
L’efficacité de cette technologie repose sur une réduction drastique de la consommation énergétique, atteignant plus de 50 % par rapport aux solutions actuelles. En outre, une augmentation de 30 % de l’efficience permet des opérations de stockage plus rapides et fiables. Le courant d’entrée nécessaire pour effectuer les commutations magnétiques a également été diminué de 20 %, tout en garantissant une stabilité thermique assurant une conservation des données pendant plus de dix ans.
Le rôle clé de l’effet orbital Hall
Au cœur de cette innovation figure l’effet orbital Hall, un phénomène physique peu exploité jusqu’à présent. Contrairement aux approches traditionnelles basées sur l’effet spin Hall, qui nécessitent des matériaux rares et coûteux tels que le platine ou le tungstène, cette nouvelle méthode utilise des courants orbitaux dérivés des courants électriques. «En revanche, notre approche exploite un nouveau phénomène fondamental en utilisant les courants orbitaux dérivés des courants de charge par le biais de l’effet Hall orbital, éliminant ainsi la dépendance à l’égard de matériaux rares et coûteux,» a expliqué le Dr. Gupta. L’approche mise en oeuvre permet ainsi de contourner l’utilisation de matériaux précieux et potentiellement néfastes pour l’environnement.
Le matériau magnétique mis au point incorpore notamment du ruthénium comme canal SOT, un composant essentiel de cette technologie. Grâce à cette conception ingénieuse, les performances ont été considérablement améliorées, rendant possible une intégration à grande échelle dans divers appareils électroniques.
Une collaboration franco-allemande
La réussite de ce projet illustre parfaitement les bénéfices d’une coopération internationale. Le coordinateur du projet à JGU, le professeur Mathias Kläui, a exprimé son enthousiasme face aux résultats obtenus : «Je suis ravi que cet effort collaboratif ait abouti à ce concept de dispositif passionnant, qui est non seulement fascinant d’un point de vue scientifique fondamental mais pourrait également avoir des implications industrielles pour le GreenIT.» Il a souligné que la réduction de la consommation d’énergie grâce à des mécanismes physiques novateurs constitue l’un des objectifs principaux de leurs recherches.
La synergie entre recherche académique et expertise industrielle a permis de développer une solution non seulement théoriquement viable mais également applicable dans des contextes pratiques. L’intégration de leur technologie dans des produits grand public pourrait marquer un tournant significatif dans la gestion durable des ressources énergétiques.
Légende illustration : GEN AI
Article : R Gupta et al., Harnessing orbital Hall effect in spin-orbit torque MRAM, Nature Communications 16, 2 January 2025, DOI : 10.1038/s41467-024-55437-x