Adaptation de l’article de Tina Hilding, Voiland College of Engineering and Architecture
Des chercheurs américains démontrent comment un biomatériau abondant pourrait prolonger la durée de vie d’une technologie de stockage d’énergie à haut potentiel, suscitant de nouvelles réflexions pour les véhicules électriques et le stockage stationnaire.
Points forts |
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Une protéine végétale commune, issue du maïs, est employée pour surmonter des obstacles techniques majeurs dans les batteries lithium-soufre. Des tests en laboratoire démontrent une augmentation significative de la durée de vie des batteries (plus de 500 cycles) grâce à un revêtement protéique sur le séparateur. L’approche cible simultanément deux problèmes clés des batteries Li-S : la migration indésirable du soufre (« effet navette ») et la formation de dendrites de lithium dangereuses. Cette recherche ouvre des réflexions sur l’utilisation de matériaux biosourcés abondants pour développer des solutions de stockage d’énergie plus légères et moins dépendantes de métaux critiques |
Dans la recherche de solutions de stockage d’énergie plus performantes et durables, des scientifiques de la Washington State University (WSU) ont étudié une approche originale : l’intégration de la protéine de maïs au cœur des batteries lithium-soufre (Li-S). Leurs travaux, détaillés dans une publication du Journal of Power Sources, suggèrent qu’un simple revêtement à base de ce biomatériau sur un composant interne de la batterie améliore substantiellement sa longévité, levant ainsi un des freins majeurs à l’exploitation de la technologie Li-S.
Les batteries lithium-soufre suscitent un intérêt considérable dans la communauté scientifique et industrielle. Sur le papier, elles offrent des avantages théoriques significatifs par rapport aux batteries lithium-ion qui équipent aujourd’hui massivement nos appareils électroniques et véhicules électriques. Leur densité énergétique potentielle est supérieure, signifiant qu’à poids égal, elles pourraient stocker davantage d’énergie, ou qu’à énergie égale, elles seraient plus légères. Un atout non négligeable pour des applications comme l’automobile ou l’aéronautique. De surcroît, leur cathode utilise du soufre, un élément extrêmement abondant sur Terre, peu coûteux et dépourvu de la toxicité associée à certains métaux comme le cobalt ou le nickel, présents dans de nombreuses batteries Li-ion actuelles.
Cependant, le déploiement commercial des accumulateurs Li-S se heurte à des obstacles techniques persistants qui limitent drastiquement leur durée de vie opérationnelle. Deux phénomènes principaux sont en cause. Le premier, connu sous le nom d' »effet navette » (shuttle effect), décrit la dissolution de composés soufrés intermédiaires (polysulfures) depuis la cathode vers l’électrolyte liquide, puis leur migration jusqu’à l’anode en lithium. Leur réaction avec l’anode entraîne une perte irréversible de matière active et une dégradation rapide des performances. Le second inconvénient majeur est la tendance du lithium métallique, au niveau de l’anode, à former lors des cycles de charge des excroissances pointues, les dendrites. Des filaments métalliques peuvent finir par percer le séparateur – la membrane isolante entre les deux électrodes – provoquant des courts-circuits internes et mettant prématurément fin au fonctionnement de la batterie, voire posant des questions de sécurité.
Face à de telles limitations, l’équipe de WSU, dirigée notamment par les professeurs Katie Zhong et Jin Liu de l’École d’Ingénierie Mécanique et des Matériaux, a conçu une solution ingénieuse. L’approche retenue consiste à utiliser la protéine de maïs, plus spécifiquement la zéine (bien que non nommée explicitement, c’est la protéine de stockage principale du maïs), comme revêtement fonctionnel pour le séparateur standard de la batterie. « La protéine de maïs constituerait un bon matériau pour batterie car elle est abondante, naturelle et durable« , déclare Jin Liu.
Le mécanisme proposé est double. D’une part, la couche protéique agit comme une barrière physique sélective. Elle gêne le passage des polysulfures dissous à travers le séparateur, atténuant ainsi l’effet navette délétère. D’autre part, les chercheurs postulent que les blocs de construction de la protéine, les acides aminés, interagissent favorablement avec les ions lithium au voisinage de l’anode. De telles interactions faciliteraient un dépôt plus homogène du lithium lors de la recharge, inhibant la formation des dangereuses dendrites. Pour optimiser l’efficacité de leur barrière, les scientifiques ont combiné la protéine, dont la structure naturelle est complexe et repliée, avec une petite quantité d’un plastique souple commun. Celui-ci aide à « aplatir » la structure protéique et à former une couche plus uniforme et performante. « La première chose à laquelle nous devons penser est comment ‘ouvrir’ la protéine, afin que nous puissions utiliser leurs interactions et manipuler la protéine« , précise Jin Liu sur la démarche intellectuelle adoptée.
Les expériences menées sur des cellules de test de type « bouton » ont validé l’approche. Les batteries équipées de leur séparateur modifié ont montré une capacité à maintenir leur charge sur plus de 500 cycles de charge et décharge. Il s’agit d’une amélioration notable par rapport aux cellules témoins dépourvues de leur protection protéique. « Ce travail a démontré une approche simple et efficace pour préparer un séparateur fonctionnel afin d’améliorer les performances de la batterie« , commente Katie Zhong, qui qualifie les résultats d’ « excellents« . Ces tests, corroborés par des études numériques, constituent une preuve de concept solide.
L’importance de leurs travaux réside dans la démonstration qu’un matériau biosourcé, peu coûteux et largement disponible, peut être employé pour s’attaquer simultanément aux deux verrous technologiques principaux des batteries Li-S. Si leur efficacité se confirme à plus grande échelle, cela pourrait faciliter l’adoption de batteries plus légères, potentiellement plus sûres, et reposant sur des ressources moins critiques et plus respectueuses de l’environnement que les technologies Li-ion dominantes. La valorisation d’une protéine végétale dans une application de haute technologie comme le stockage d’énergie est également une illustration intéressante des possibilités offertes par les biomatériaux.
Néanmoins, le chemin vers une application industrielle reste long. Les chercheurs reconnaissent la nécessité de travaux complémentaires pour élucider précisément les interactions moléculaires à l’œuvre, notamment identifier quels acides aminés spécifiques sont les plus efficaces et comment optimiser la structure de la couche protectrice. « Une protéine est une structure très compliquée« , rappelle Katie Zhong. « Nous devons mener d’autres études par simulation pour identifier quels acides aminés dans la structure protéique peuvent le mieux fonctionner pour résoudre les problèmes critiques de l’effet navette et des dendrites.«
Le passage à des cellules de plus grande taille, représentatives des applications visées (véhicules électriques, stockage stationnaire), sera une étape déterminante pour évaluer la performance et la durabilité en conditions réelles. La modularité du procédé de fabrication du séparateur modifié et son coût économique devront également être étudiés. L’équipe de WSU exprime d’ailleurs le souhait de collaborer avec des partenaires industriels pour les phases ultérieures de développement, financées jusqu’ici par le Département Américain de l’Agriculture (USDA).
Lexique
- Batterie Lithium-Soufre (Li-S) : Technologie de batterie utilisant une électrode négative (anode) en lithium et une électrode positive (cathode) à base de soufre. Elle offre une haute densité énergétique théorique et utilise des matériaux abondants.
- Effet Navette (Shuttle Effect) : Phénomène spécifique aux batteries Li-S où des composés de soufre (polysulfures) se dissolvent dans l’électrolyte et migrent entre la cathode et l’anode, entraînant une perte de capacité et une faible durée de vie.
- Dendrites : Fines excroissances métalliques, semblables à des aiguilles, qui peuvent se former sur l’anode en lithium pendant la charge. Elles peuvent percer le séparateur, causer des courts-circuits et réduire la sécurité et la longévité de la batterie.
- Séparateur : Membrane poreuse placée entre l’anode et la cathode d’une batterie. Elle empêche le contact physique direct entre les électrodes (évitant les courts-circuits) tout en permettant le passage des ions lithium.
- Cathode : L’électrode positive d’une batterie. Dans le cas des batteries Li-S étudiées ici, elle est principalement constituée de soufre.
- Anode : L’électrode négative d’une batterie. Dans les batteries Li-S, elle est généralement composée de lithium métallique.
- Cycle de vie (ou Durée de vie en cycles) : Nombre de cycles complets de charge et de décharge qu’une batterie peut effectuer avant que sa capacité ne diminue de manière significative en dessous de sa valeur initiale (souvent définie par une perte de 20%).
Article : « An interpenetrated protein-polar polymer interlayer for suppressing shuttle effect in Li-S batteries » – DOI : 10.1016/j.jpowsour.2024.236145