La demande énergétique mondiale en constante augmentation maintient l’industrie aéronautique dans une dépendance structurelle aux combustibles fossiles. Pour surmonter cet obstacle, une équipe de l’Institut de technologie de Californie (Caltech), rattachée au hub d’innovation énergétique LiSA financé par le département américain de l’Énergie, a conçu un réacteur solaire capable de produire des carburants aériens avec un bilan carbone nul. Le dispositif, qualifié de photothermocatalytique, utilise la chaleur issue du rayonnement solaire pour alimenter des réactions chimiques clés, éliminant le recours aux énergies fossiles dans la chaîne de production.
Points forts |
---|
L’industrie aéronautique, responsable de 2,5 % des émissions mondiales de CO₂, reste dépendante des combustibles fossiles. Un réacteur solaire photothermocatalytique conçu par le Caltech produit du kérosène neutre en carbone en exploitant la chaleur solaire. Un absorbeur solaire multicouche (silicium, germanium, or) atteint 249°C sans suivi du soleil, optimisant l’efficacité énergétique. Une conversion du CO₂ en éthylène, puis en carburant, via des réactions chimiques alimentées uniquement par le soleil. Une modularité compatible avec les infrastructures existantes, permettant un déploiement décentralisé. |
Le système repose sur un absorbeur solaire sélectif, une structure multicouche conçue pour maximiser l’absorption du spectre solaire tout en minimisant les pertes thermiques. « Aucun matériau unique ne permet d’atteindre cet équilibre, explique Aisulu Aitbekova, chercheuse postdoctorale au Kavli Nanoscience Institute. Notre pile de couches, associant silicium, germanium et or sur un substrat d’argent, optimise à la fois l’absorption de la lumière et la rétention de la chaleur. »
Protégé par une fenêtre en quartz et isolé par une couche de vide, l’absorbeur atteint une température maximale de 249°C sous un ensoleillement standard. Bien que moins puissant que les technologies solaires concentrées (capables de générer des milliers de degrés), il se distingue par son absence de mécanisme de suivi du soleil, réduisant les coûts et la complexité technique. « Nous ne cherchons pas à concurrencer les technologies solaires concentrées, précise la chercheuse. « Notre solution cible les zones où ces infrastructures ne sont pas viables. »
De l’éthylène au carburant : une chaîne chimique alimentée par le soleil
Le réacteur a été testé avec succès dans la production d’oligomères d’éthylène, une réaction traditionnellement chauffée par combustion de pétrole ou de gaz. L’éthylène (C₂H₄), un hydrocarbure à deux atomes de carbone, est polymérisé pour former des chaînes plus longues appelées alcènes, constitutives des carburants aéronautiques. Les essais en laboratoire ont généré des alcènes liquides comportant de 7 à 26 atomes de carbone, correspondant aux spécifications des kérosènes actuels.
Cette innovation s’inscrit dans un processus global : l’équipe de LiSA a récemment démontré la possibilité de synthétiser de l’éthylène à partir de CO₂, d’eau et d’énergie solaire. « Le système complet utilise désormais uniquement le soleil, souligne Harry Atwater, directeur de LiSA et professeur au Caltech. Le CO₂ est converti en éthylène, puis en carburant, sans émissions nettes de gaz à effet de serre. »

Vers une production décentralisée et compétitive
La modularité du réacteur, compatible avec les infrastructures existantes de fabrication de panneaux solaires, facilite son déploiement à grande échelle. Les simulations indiquent qu’il pourrait atteindre des dimensions comparables aux technologies commerciales de films minces en silicium, ouvrant la voie à une production décentralisée de carburants verts.
Publiés dans la revue Device, ces travaux marquent une étape clé dans la transition énergétique de l’aérien, un secteur responsable de 2,5 % des émissions mondiales de CO₂. Si les défis de rentabilité et de déploiement industriel persistent, cette technologie illustre l’urgence d’explorer des synergies entre énergies renouvelables et chimie verte.
Lexique
- Photothermocatalytique : Procédé combinant lumière solaire, chaleur et catalyseurs pour activer des réactions chimiques sans énergie fossile.
- Oligomérisation : Réaction chimique reliant des molécules d’éthylène (C₂H₄) pour former des chaînes hydrocarbonées (alkènes) utilisées dans les carburants.
- Absorbeur solaire sélectif : Dispositif multicouche captant un large spectre solaire tout en minimisant les pertes thermiques (ex. : empilement de silicium, germanium, or).
- Zéro émission nette : Bilan carbone neutre, où le CO₂ émis lors de la combustion est compensé par celui capté pour produire le carburant.
- Réacteur modulaire : Système adaptable, compatible avec les infrastructures de production de panneaux solaires, facilitant un passage à l’échelle industrielle.
- Alcènes : Hydrocarbures à double liaison (C=C) obtenus par oligomérisation, constituant les carburants aériens (7 à 26 atomes de carbone).
- LiSA (Liquid Sunlight Alliance) : Consortium de recherche financé par le département américain de l’Énergie, focalisé sur la conversion solaire en carburants.
Les autres auteurs de l’article, intitulé « A photothermocatalytic reactor and selective solar absorber for sustainable fuel synthesis », sont Matthew Salazar et Fabian J. Williams (MS ’24), étudiants diplômés de Caltech, Xueqian Li, ancien postdoc de Caltech, Shuoyan Xiong, ancien étudiant diplômé, Matthew Espinosa, boursier postdoctoral, et Jonas C. Peters et Theodor Agapie (PhD ’07), membres du corps professoral de Caltech. Peters est professeur de chimie Bren et directeur du Resnick Sustainability Institute ; Agapie est professeur de chimie John Stauffer et responsable de la chimie. Outre le financement de la Liquid Sunlight Alliance, le projet a bénéficié du soutien et de l’infrastructure du Kavli Nanoscience Institute de Caltech. DOI: 10.1016/j.device.2024.100604