L’exploration des propriétés électroniques des matériaux bidimensionnels continue de captiver les chercheurs, offrant un terrain fertile pour des découvertes inédites. Parmi ces matériaux, le graphène rhomboédrique multicouche suscite un intérêt croissant en raison de ses comportements électroniques atypiques. Une récente étude menée à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) a révélé des phénomènes électroniques surprenants dans ce matériau, dont la capacité des électrons à former des structures cristallines sous certaines conditions expérimentales.
Un matériau aux propriétés inédites
Le graphène rhomboédrique multicouche représente une variante spécifique du graphite, communément connu sous sa forme de mine de crayon. Ce matériau est constitué de couches atomiquement minces de carbone disposées selon un motif hexagonal semblable à celui d’une ruche. La version découverte par l’équipe du MIT se distingue par son empilement particulier : cinq couches de graphène superposées selon un ordre précis. Long Ju, professeur assistant au département de physique du MIT et chef de l’équipe, qualifie cette matière de véritable « filon », chaque nouvelle analyse apportant des informations supplémentaires.
Les chercheurs ont également expérimenté avec des combinaisons incluant des couches d’un autre matériau, le nitrure de bore hexagonal. En 2023, ils avaient déjà démontré que cette association permettait de mettre en évidence trois propriétés jamais observées auparavant dans le graphite naturel. Cette approche a conduit à la découverte de phénomènes électroniques tels que l’effet Hall quantique fractionnaire anormal, qui ne nécessite pas de champ magnétique intense pour se manifester.
Des découvertes à des températures extrêmes
Dans leur dernière publication, les physiciens ont exploré davantage les potentialités du système composé de graphène rhomboédrique multicouche et de nitrure de bore hexagonal. Les dispositifs expérimentaux ont été refroidis à seulement 30 millikelvins, soit près de -459,668 degrés Fahrenheit. À cette température proche du zéro absolu, deux nouveaux états électroniques fractionnaires ont été identifiés, s’ajoutant aux six déjà documentés dans leurs travaux précédents.
En outre, un autre phénomène électronique inhabituel a été mis en lumière : l’effet Hall quantique anomale entier observable sur une large gamme de densités électroniques. Cet état peut être interprété comme une phase solide des électrons, comparable à la formation d’une sorte de « glace électronique ». Selon Long Ju, cet état coexiste avec les effets fractionnaires lorsque la tension appliquée au système est minutieusement ajustée à des températures ultra-basses.
Une analogie géographique pour comprendre
Pour mieux expliquer la relation entre les états fractionnaires et entiers, Long Ju propose une métaphore géographique. En ajustant les tensions électriques, il est possible de créer une véritable « carte topographique » électronique. Les états fractionnaires peuvent être comparés à des cours d’eau liquides serpentant à travers des glaciers, tandis que les états entiers ressemblent à des formations solides et rigides. Cette représentation aide à visualiser comment ces deux types d’états peuvent coexister harmonieusement sous des conditions spécifiques.
Il convient de noter que ces phénomènes n’ont pas été observés uniquement dans le graphène rhomboédrique à cinq couches, mais également dans sa version à quatre couches. Cette observation laisse supposer l’existence d’une famille de matériaux partageant des propriétés similaires, ouvrant ainsi de nouvelles pistes pour des recherches futures.
Une contribution significative à la science des matériaux
Zhengguang Lu, co-premier auteur de l’article publié dans Nature et ancien postdoctorant au MIT, affirme que « ce travail met en évidence la richesse de ce matériau en termes de phénomènes exotiques. » Après avoir rejoint la faculté de l’Université d’État de Floride, Lu souligne que les résultats obtenus enrichissent encore davantage un domaine déjà complexe. L’équipe a réussi à isoler ces comportements grâce à des filtres thermiques sur mesure, permettant d’atteindre des températures dix fois plus basses que celles utilisées lors des expériences initiales.
Ces avancées ont été rendues possibles par une combinaison de créativité expérimentale et de précision technique. Selon Zhengguang Lu, « chaque nouvelle découverte ajoute une couche supplémentaire de compréhension à un tableau déjà fascinant. » L’analyse de ces systèmes pourrait inspirer des applications dans divers domaines technologiques, bien que des recherches complémentaires soient nécessaires pour explorer pleinement leur potentiel.
Légende illustration : Ce graphique montre comment les électrons peuvent se comporter comme un solide (à gauche, structure en forme de glacier) ou comme un liquide (structure en forme de rivière) en fonction de la tension appliquée à un nouveau matériau refroidi à une température ultra-basse semblable à celle de l’espace extra-atmosphérique. Image: Michael Hurley and Sampson Wilcox/Research Laboratory of Electronics
Article : « Extended quantum anomalous Hall states in graphene/hBN moiré superlattices » – DOI: s41586-024-08470-1