En 1934, l’entomologiste français Antoine Magnan écrivait que les bourdons « ne devraient pas pouvoir voler », car leurs petites ailes ne devraient théoriquement pas pouvoir produire suffisamment de portance. Il a fallu la technologie moderne des caméras à grande vitesse pour découvrir ce qui permettait aux insectes de voler : le tourbillon du bord d’attaque. Ce phénomène se produit lorsque le flux d’air autour du bord d’attaque des ailes battantes s’enroule dans un tourbillon, créant une zone de basse pression qui augmente la portance.
D’autre part, les chauves-souris, avec leurs ailes à membrane souple, sont capables de voler aussi bien que les insectes, voire plus efficacement. En fait, on a constaté que certaines chauves-souris dépensaient jusqu’à 40 % d’énergie en moins que des papillons de nuit de taille similaire. Les chercheurs du Laboratoire de diagnostic des écoulements instables de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL ont entrepris d’étudier le potentiel aérodynamique d’ailes plus flexibles en utilisant une plate-forme expérimentale dotée d’une membrane hautement déformable fabriquée à partir d’un polymère à base de silicone. Ils ont constaté qu’au lieu de créer un tourbillon, l’air s’écoule doucement sur les ailes incurvées, ce qui génère plus de portance et les rend encore plus efficaces que des ailes rigides de même taille.
« La principale conclusion de ce travail est que le gain de portance que nous observons ne provient pas d’un tourbillon sur le bord d’attaque, mais de l’écoulement qui suit la courbure lisse de l’aile en membrane », explique Alexander Gehrke, ancien étudiant de l’EPFL, aujourd’hui chercheur à l’université de Brown. « Non seulement l’aile doit être courbée, mais elle doit l’être juste ce qu’il faut, car une aile trop flexible a de moins bonnes performances ».
M. Gehrke est le premier auteur d’un article décrivant ces travaux, qui a été publié dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.

Des idées de conception pour les drones ou les collecteurs d’énergie
Les chercheurs ont monté la membrane souple sur un cadre rigide dont les bords tournent autour de leurs axes. Pour mieux visualiser l’écoulement autour de l’aile, ils ont immergé leur dispositif dans de l’eau mélangée à des particules de traceur en polystyrène.
« Nos expériences nous ont permis de modifier indirectement les angles avant et arrière de l’aile, afin d’observer comment ils s’alignaient sur l’écoulement », ajoute Karen Mulleners, responsable du laboratoire de diagnostic des écoulements instables. « Grâce à la déformation de la membrane, l’écoulement n’a pas été forcé de s’enrouler dans un tourbillon ; au contraire, il a suivi naturellement la courbure de l’aile sans se séparer, ce qui a créé plus de portance. »
Selon M. Gehrke, les résultats obtenus par l’équipe sont importants pour les biologistes et les ingénieurs.
« Nous savons que les chauves-souris planent et qu’elles ont des ailes à membrane déformable. La manière dont la déformation des ailes affecte les performances de vol stationnaire est une question importante, mais faire des expériences sur des animaux vivants n’est pas trivial. En utilisant une expérience bio-inspirée simplifiée, nous pouvons en apprendre davantage sur les oiseaux qui volent dans la nature et sur la manière de construire des véhicules aériens plus efficaces ».
Il explique qu’à mesure que les drones deviennent plus petits, ils sont plus fortement affectés par les petites perturbations aérodynamiques et les rafales instables que les véhicules plus grands tels que les avions. Les drones quadri-moteurs standard cessent de fonctionner à très petite échelle. Une solution pourrait donc consister à utiliser les mêmes mouvements de battement d’ailes que les animaux pour construire des versions améliorées de ces engins volants, capables de rester en vol stationnaire et de transporter une charge utile de manière plus efficace.
Les conclusions de l’équipe pourraient également être utilisées pour améliorer les technologies énergétiques existantes, telles que les éoliennes, ou pour commercialiser des systèmes émergents, tels que les collecteurs de marée qui exploitent passivement l’énergie des courants océaniques. Les progrès des capteurs et de la technologie de contrôle, éventuellement combinés à l’intelligence artificielle, pourraient permettre le contrôle précis nécessaire pour réguler la déformation des ailes à membrane souple et adapter les performances de ces volants à des conditions météorologiques ou des missions de vol variables.
Auteur: Celia Luterbacher
Article : « Highly deformable flapping membrane wings suppress the leading edge vortex in hover to perform better » – DOI : 10.1073/pnas.2410833121
Source : EPFL – Traduction enerzine.com