Sébastien Cardinal, Université du Québec à Rimouski (UQAR) et Amy McMackin, Swiss Federal Institute of Technology Zurich
Les microbilles de plastique, ces minuscules perturbateurs trouvés dans les produits de soins personnels du début des années 1990 à la fin des années 2010, font des ravages dans l’environnement. Plus petits qu’une graine de sésame, ils échappent aux stations d’épuration et s’accumulent dans les océans et les rivières où ils constituent une menace pour la vie marine.
Heureusement, les savons et les gommages contenant ces perturbateurs sont aujourd’hui introuvables dans les rayons des magasins. Ces dernières années, de nombreux pays ont reconnu que ces microbilles étaient une source de pollution marine par le plastique et les ont interdites dans les produits d’hygiène personnelle. L’interdiction des microbilles laisse la place à des substituts plus respectueux de l’environnement, permettant aux consommateurs de continuer à ressentir la sensation satisfaisante du nettoyage en profondeur sans nuire à l’environnement.
Au lieu de s’appuyer sur les plastiques synthétiques, la recherche montre qu’un trésor de possibilités se cache dans les déchets biologiques. L’un de ces joyaux est la drêche de brasserie (dont l’acronyme anglais est BSG), c’est-à-dire les restes de la fabrication de la bière. Peu coûteux et abondant, le BSG est utilisé dans l’alimentation animale, la production de biogaz, le compost et les engrais.
Plus récemment, les drêches de brasserie ont été utilisées comme ingrédient riche en protéines et en fibres dans les craquelins, les pains et les biscuits.
Nos recherches ont montré que le BSG est bien adapté à une utilisation dans les produits d’hygiène personnelle sous forme de microbilles exfoliantes durables.
Propriétés chimiques de la cellulose
La cellulose – la principale molécule constitutive des parois cellulaires des plantes – est un composant clé des drêches de brasserie. Depuis plus d’un siècle, les scientifiques préparent de grandes quantités de matériaux à base de cellulose en transformant les arbres par un processus chimique relativement simple. Les arbres sont abattus, écorcés, déchiquetés, réduits en pâte et blanchis, puis la cellulose restante est façonnée dans la forme finale souhaitée.
Les fibres de cellulose ne se dissolvent pas dans la plupart des solvants, et c’est heureux, car les t-shirts en coton seraient autrement emportés par la pluie et les tissus imbibés d’acétone fondraient au lieu d’enlever le vernis à ongles.
Dans l’industrie de transformation de la cellulose, peu de produits chimiques sont disponibles pour surmonter la résistance de la cellulose. La plupart des options sont mal réputées en raison de leur instabilité, de leur toxicité élevée, de leur coût élevé ou de leur faible recyclabilité.
Cependant, l’hydroxyde de sodium dissous dans l’eau à différentes concentrations constitue une option plus durable. En outre, avec l’hydroxyde de sodium, la cellulose peut être reconvertie en solide par une simple réaction de neutralisation.
Ce processus à base d’alcali permet d’obtenir des microbilles de cellulose pure, qui ont été préparées pour la première fois il y a une dizaine d’années. La pâte de cellulose est dissoute dans de l’hydroxyde de sodium aqueux, puis neutralisée, une goutte à la fois, dans un bain d’acide. Lorsque le bain d’acide est évacué, il reste des microbilles sphériques à base de cellulose.
Affiner le processus
Notre recherche visait à déterminer si l’abondance des déchets biologiques à base de cellulose générés par les industries agroalimentaires pouvait générer des microbilles. Avec le BSG comme matériau de départ riche en cellulose et les microbilles exfoliantes comme objectif, nous avons commencé à expérimenter en laboratoire.
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Le BSG représentait un défi pour la création de microbilles de cellulose pure en raison de la complexité de sa composition. Outre la cellulose, le BSG contient de l’hémicellulose, de la lignine, des protéines, des lipides et de petites quantités de cendres, tous soigneusement imbriqués pour créer différentes structures de cellules végétales.
Pour surmonter cet obstacle, l’hydrolyse acide diluée détache la cellulose et les autres fibres (hémicellulose et lignine) du BSG. Une filtration grossière élimine les sucres simples et les protéines, laissant derrière elle une pâte enrichie en cellulose et en lignine.
Les étapes suivantes consistent à affiner la solution d’hydroxyde de sodium. Ce n’est qu’à des températures et des concentrations spécifiques que les solutions d’hydroxyde de sodium sont plus fortes que les liens qui maintiennent les fibres cellulosiques ensemble : cela est également vrai pour les pâtes BSG plus complexes.
Nos expériences ont révélé une fenêtre de traitement étroite où la pâte BSG se dissout complètement, aidée par de petites quantités d’oxyde de zinc. Ensuite, l’introduction de ces solutions BSG, goutte à goutte, dans un bain d’acide a permis d’atteindre simultanément nos objectifs de mise en forme et de solidification.
Après quelques heures, le bain d’acide a été vidé et des microbilles lisses et sphériques à base de BSG ont été conservées.
Enfin, des tests de résistance et de stabilité ont prouvé que les microbilles de BSG avaient la résistance nécessaire pour tenir tête à leurs homologues en plastique conventionnel. Lorsqu’elles sont incorporées dans des savons, les microbilles à base de BSG sont plus performantes que les autres microbilles en plastique actuellement disponibles, telles que les coques de noix de coco broyées et les noyaux d’abricot.
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Des solutions créatives
La transformation des déchets de brasserie en microbilles exfoliantes représente une nouvelle étape vers un avenir plus durable. En exploitant les propriétés de la cellulose et de la lignine présentes dans les BSG, cette innovation démontre le potentiel des déchets à contribuer à des solutions durables.
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Ce succès souligne l’importance de la recherche et de l’innovation dans la transition vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Enfin, elle encourage à explorer d’autres possibilités similaires pour réduire notre empreinte écologique.
S’il est possible de transformer les déchets d’une brasserie en un précieux composant de produits d’hygiène personnelle, il suffit d’imaginer les autres possibilités que l’on peut trouver dans les poubelles.
Sébastien Cardinal, Professeur en chimie organique, Université du Québec à Rimouski (UQAR) et Amy McMackin, Doctoral Researcher, Sustainable Food Processing, Swiss Federal Institute of Technology Zurich
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.