La transition énergétique s’accélère, et la production d’hydrogène vert se heurte à un dilemme technologique : comment concilier rentabilité et durabilité ? Une étude coréenne explore les synergies entre électrolyseurs alcalins et à membrane échangeuse de protons (PEM), révélant des stratégies inédites pour optimiser les coûts et l’efficacité.
Dans un contexte où l’hydrogène vert émerge comme un pilier des économies décarbonées, une équipe de chercheurs de l’Institut coréen de recherche sur l’énergie (KIER) a passé au crible les technologies d’électrolyse de l’eau, évaluant leurs performances économiques et techniques. Dirigés par le Dr. Joungho Park, les scientifiques ont comparé deux procédés dominants — l’électrolyse alcaline et celle à membrane PEM — pour identifier les voies d’optimisation, tant sur le plan financier qu’environnemental. Leurs conclusions, publiées récemment, offrent un cadre décisionnel pour les investissements futurs dans une filière encore en construction.
Deux technologies, des défis asymétriques
L’hydrogène vert, produit via l’électrolyse de l’eau alimentée par des énergies renouvelables, repose principalement sur deux méthodes. L’électrolyse alcaline, technologie historique, permet une production à grande échelle à moindre coût grâce à son électrolyte liquide (comme l’hydroxyde de potassium). En revanche, sa dépendance à une alimentation électrique stable et continue la rend peu compatible avec les intermittences des énergies solaire ou éolienne. « Les cycles répétés de démarrage et d’arrêt dégradent les électrodes, réduisant la durée de vie des installations », souligne l’étude.
À l’inverse, l’électrolyse PEM, bien que plus coûteuse à l’installation, présente une flexibilité accrue : elle tolère des variations de puissance et peut fonctionner avec des apports électriques minimaux, idéaux pour les énergies renouvelables intermittentes. Cependant, son stade de développement moins avancé et ses coûts initiaux élevés freinent son déploiement massif.
Stratégies économiques : entre pragmatisme et transition
Pour contourner les limites, l’équipe du KIER a modélisé des scénarios d’hybridation. Concernant l’électrolyse alcaline, l’utilisation du réseau électrique existant comme source complémentaire s’avère la solution la plus rentable à court terme. Selon leurs calculs, combiner des renouvelables avec une alimentation partielle (20 %) issue du réseau fossile réduit le coût de production à 6,60 $/kg, contre 8,60 $/kg avec un système de stockage (batteries). Une économie significative, mais qui ne résout pas les défis environnementaux.
« À long terme, remplacer progressivement l’électricité fossile par des sources sans carbone — nucléaire, biomasse ou renouvelables couplées à des stockages performants — sera incontournable », précise le rapport. Une transition qui dépendra de la baisse des coûts des systèmes de stockage (ESS), encore trop onéreux pour garantir une rentabilité verte.

L’électrolyse PEM : flexibilité contre performance
Du côté des électrolyseurs PEM, les chercheurs ont identifié un levier méconnu : la surcharge électrique. En exploitant leur capacité à supporter des pics de puissance (jusqu’à 1,5 fois la normale), la production d’hydrogène peut être maximisée durant les périodes de surplus renouvelable. La méthode abaisse le coût à 5,80 $/kg, soit une réduction de 12 % par rapport à une utilisation standard.
Cette méthode, toutefois, exige un accès privilégié à des sources renouvelables abondantes et stables. « Les zones à fort potentiel éolien ou solaire, comme les déserts ou les littoraux, seraient les plus aptes à en bénéficier », note l’étude
Appliquées au contexte coréen, ces conclusions dessinent une feuille de route pragmatique. En croisant des données météorologiques de l’île de Jeju, l’équipe a simulé un système combinant 100 MW d’électrolyse alcaline, 100 MW d’éolien offshore et 100 MW de solaire. Résultat : une production d’hydrogène stable à environ 4 $/kg, un seuil compétitif face aux énergies fossiles.
« Ce modèle illustre l’importance de l’hybridation technologique », explique le Dr. Park. « En Corée, où le réseau électrique reste majoritairement fossile, miser sur l’électrolyse alcaline couplée à des sources vertes émergentes — comme l’hydrogène produit par les réacteurs nucléaires — pourrait accélérer la transition. »
Vers une standardisation des choix stratégiques
L’étude souligne enfin l’importance de l’indicateur LCOH (coût nivelé de l’hydrogène), qui intègre l’ensemble des dépenses d’investissement et d’exploitation. Alors que l’Union européenne vise un LCOH à 1,8 $/kg d’ici 2030, les scénarios coréens montrent que cette cible exige une réduction drastique des coûts des électrolyseurs et des systèmes de stockage.
« Les politiques publiques devront prioriser les subventions aux technologies émergentes comme le PEM, tout en soutenant la R&D sur les matériaux résistants aux cycles de puissance variables », conclut le Dr. Park. Une approche équilibrée, où innovation et pragmatisme économique guideront la quête d’un hydrogène véritablement vert.
Lexique technique
- Hydrogène vert : Hydrogène produit via l’électrolyse de l’eau alimentée par des énergies renouvelables.
- Électrolyse alcaline : Procédé utilisant un électrolyte liquide (ex. hydroxyde de potassium) pour séparer l’eau en hydrogène et oxygène.
- Électrolyse PEM : Technologie à membrane solide permettant une production flexible d’hydrogène, adaptée aux sources intermittentes.
- LCOH : Coût nivelé de production de l’hydrogène, calculé en divisant les coûts totaux (capital et opération) par la quantité d’hydrogène produite.
Données clés
- Coût de production avec ESS : 8,60 $/kg (électrolyse alcaline + stockage de 500 MWh).
- Coût avec réseau fossile : 6,60 $/kg (20 % de l’énergie provenant du réseau).
- Coût optimal PEM : 5,80 $/kg (surcharge électrique de 1,5x).
- Objectif coréen : 4 $/kg via un mix éolien, solaire et électrolyse alcaline.
Article : »Comparative techno-economic evaluation of alkaline and proton exchange membrane electrolysis for hydrogen production amidst renewable energy source volatility » – DOI : 10.1016/j.enconman.2024.119423
Source : KIER