L’exploration des particules élémentaires, ces constituants invisibles qui façonnent l’univers, repose sur des instruments capables de déceler des phénomènes infimes et éphémères. Les détecteurs de particules, véritables yeux braqués sur l’infiniment petit, permettent d’observer les interactions entre particules à des énergies colossales. Cependant, les dispositifs traditionnels peinent parfois à offrir la finesse nécessaire pour certaines recherches avancées. Une récente découverte pourrait modifier cette donne.
Des chercheurs du laboratoire national d’Argonne, rattaché au département américain de l’Énergie (DOE), ont exploré une application inédite des détecteurs à nanofils supraconducteurs (SNSPDs). Ces dispositifs, initialement conçus pour capter des photons individuels, se sont révélés aptes à détecter avec une grande précision des protons à haute énergie. Leur fonctionnement repose sur des variations électriques minuscules générées lors de l’absorption d’un photon ou d’une interaction avec une particule chargée, à des températures extrêmement basses.
Leur sensibilité exceptionnelle en fait des outils incontournables pour des domaines comme la cryptographie quantique ou la mesure optique avancée. L’étude réalisée a permis de démontrer que leur usage peut s’étendre aux expériences impliquant des protons, ces particules chargées positivement présentes dans le noyau atomique de tous les éléments connus. Cette capacité a été mise en lumière grâce à des tests effectués avec un faisceau de protons à 120 GeV au Fermilab, une installation équipée pour ce type d’expérimentation.
Un test rigoureux pour valider leur efficacité
Pour évaluer leurs performances, plusieurs configurations de SNSPDs ont été fabriquées, avec des largeurs de fils variant selon des paramètres précis. Les résultats ont montré que les fils mesurant moins de 400 nanomètres de large – soit environ 250 fois plus fins qu’un cheveu humain – affichaient une efficacité de détection adaptée aux protons à haute énergie. Une taille optimale de fil, située autour de 250 nanomètres, a même été identifiée pour maximiser leurs capacités.
Les chercheurs ont également observé que ces détecteurs fonctionnent correctement sous des champs magnétiques intenses, caractéristique essentielle pour leur intégration dans les accélérateurs de particules où des aimants supraconducteurs augmentent la vitesse des particules. Whitney Armstrong, physicien à Argonne, a souligné cet aspect : « Il s’agissait d’une première utilisation de cette technologie dans ce contexte. Cette étape était nécessaire pour prouver que la technologie répond à nos attentes, car elle est généralement orientée vers les photons. »
Applications futures et implications pour la physique nucléaire
La polyvalence des SNSPDs ouvre la voie à leur utilisation dans des projets ambitieux, notamment le futur collisionneur électron-ion (EIC) en construction au laboratoire national de Brookhaven. Ce dispositif, conçu pour percuter des électrons contre des protons et des ions, permettra d’examiner en détail la structure interne de ces particules, y compris les quarks et gluons qui composent les protons et neutrons.
Sangbaek Lee, postdoctorant en physique à Argonne, a précisé : « La gamme d’énergie des protons testée au Fermilab correspond exactement à celle des ions que nous observerons à l’EIC, rendant ces essais particulièrement pertinents. » Tomas Polakovic, un autre physicien impliqué dans l’étude, a ajouté : « Il s’agissait d’un transfert technologique réussi entre les sciences quantiques, axées sur la détection de photons, et la physique nucléaire expérimentale. Nous avons modifié légèrement le dispositif pour qu’il fonctionne mieux dans des champs magnétiques et pour des particules. Et voilà, les particules sont apparues exactement comme prévu. »
Une percée technique aux multiples ramifications
Cette étude constitue une avancée significative dans le domaine de la détection des particules. Elle illustre comment des technologies développées pour des applications spécifiques peuvent être adaptées à d’autres disciplines scientifiques, enrichissant ainsi leur champ d’utilisation. En combinant une sensibilité accrue et une compatibilité avec des environnements complexes, les SNSPDs se positionnent comme des outils précieux pour explorer les mystères de la matière à son niveau le plus fondamental.
Les implications de cette découverte dépassent largement le cadre strict de la physique des particules. Les données recueillies grâce à ces détecteurs contribueront à affiner les modèles théoriques actuels et à poser les bases de nouvelles investigations scientifiques. Dans un contexte où la compréhension des constituants élémentaires de l’univers reste un objectif central, chaque progrès technique apporte un éclairage supplémentaire sur des phénomènes encore mal connus.
Légende illustration : Vue rapprochée d’un SNSPD monté sur un circuit imprimé à l’intérieur du cryostat de l’installation du faisceau d’essai du Fermilab. Ce dispositif a été utilisé pour la première démonstration réussie de la détection de protons à haute énergie à l’aide de SNSPD. (Image de Sangbaek Lee/Argonne National Laboratory.)
Article : Les résultats de cette recherche ont été publiés dans Nuclear Instruments and Methods in Physics Research Section A. DOI: 10.1016/j.nima.2024.169956