Phillip Pitschi | Auteur correspondant | TUM
La compétition automobile autonome représente un laboratoire expérimental où la technologie doit démontrer une efficacité maximale. Une étude dévoile une approche novatrice pour maîtriser la complexité des moteurs à combustion interne face à l’exigence des courses sans pilote. L’équilibre entre performance et sécurité constitue le fondement de travaux qui pourraient influencer l’avenir des véhicules autonomes.
Les courses de voitures autonomes représentent bien plus qu’un divertissement technologique. La piste devient un terrain d’essai grandeur nature où chaque milliseconde compte. La moindre hésitation algorithmique peut entraîner une sortie de route spectaculaire, transformant ainsi la compétition en incubateur d’innovations.
Le contrôle longitudinal – l’art de gérer l’accélération et le freinage – pose des problèmes particulièrement complexes pour les véhicules dotés de moteurs thermiques. Les ordres abstraits émis par les contrôleurs de trajectoire doivent être convertis en actions précises, une tâche rendue ardue par plusieurs facteurs.
La réponse d’un moteur à combustion, surtout lorsqu’il est équipé d’un turbocompresseur, se caractérise par sa non-linéarité. Elle dépend d’une multitude de paramètres interdépendants, du régime moteur à la température de l’air. Parallèlement, l’efficacité du système de freinage varie considérablement selon la température, requérant une gestion thermique minutieuse. L’adhérence des pneus, élément déterminant de la performance, fluctue en fonction de l’angle de glissement, de la charge verticale et des conditions de la piste.
Face à l’ensemble de telles contraintes, les chercheurs ont développé une architecture modulaire favorisant adaptabilité et flexibilité. Le système intègre plusieurs modules spécialisés fonctionnant en harmonie.
Le « traducteur de commandes » convertit les ordres abstraits en instructions concrètes pour le moteur et les freins. Le « dompteur de moteur » ajuste l’alimentation en carburant et l’allumage pour obtenir la puissance désirée. Le « maître des freins » gère la pression hydraulique en tenant compte de la température et des conditions d’adhérence. Le « stratège des vitesses » sélectionne le rapport optimal en fonction des conditions de course. Les « gardiens de la sécurité » (ABS et TC) interviennent en cas d’urgence pour prévenir le blocage des roues ou la perte d’adhérence.
Les algorithmes ABS et TC jouent un rôle fondamental dans la sécurité du véhicule. L’approche heuristique décrite dans l’article permet d’ajuster la pression de freinage et l’ouverture des gaz selon le glissement des roues. La première étape consiste à détecter tout patinage en comparant la vitesse de rotation de chaque roue à la vitesse globale du véhicule. Si le glissement dépasse un seuil critique lors du freinage, l’ABS réduit la pression hydraulique pour éviter le blocage. À l’inverse, pendant l’accélération, le TC diminue l’ouverture des gaz pour maintenir l’adhérence.
La température des freins constitue un paramètre essentiel pour la performance. Les freins en carbone-céramique, privilégiés pour leur légèreté et leur résistance thermique, fonctionnent de manière optimale dans une plage de température spécifique. Le système de contrôle utilise des modèles thermiques sophistiqués et des capteurs stratégiquement placés pour estimer la température. Une légère pression peut être appliquée pour réchauffer des freins trop froids, tandis qu’une réduction de pression permet d’éviter la surchauffe.
La stratégie de changement de vitesses représente une innovation significative. Contrairement aux approches conventionnelles basées uniquement sur la vitesse et le régime moteur, la méthode présentée anticipe les besoins futurs en couple, notamment à la sortie des virages. L’anticipation permet d’éviter les changements intempestifs qui déstabiliseraient le véhicule et maximise l’accélération dans les phases critiques.
Les tests réalisés sur une Dallara EAV24 lors d’une compétition à Abu Dhabi ont confirmé l’efficacité du système. La voiture a pu suivre précisément les commandes avec des accélérations longitudinales atteignant 25 m/s². Les systèmes de sécurité ont empêché efficacement le blocage des roues et les pertes d’adhérence, tandis que la stratégie prédictive de changement de vitesses a amélioré l’accélération en sortie de virage.
L’étude apporte plusieurs contributions majeures au domaine du contrôle des véhicules autonomes. La conception modulaire facilite l’intégration avec différents contrôleurs et véhicules. La prise en compte des caractéristiques non linéaires du moteur turbocompressé dépasse les approches simplistes habituelles. La stratégie de changement de vitesses anticipative améliore considérablement les performances dynamiques.
Malgré les résultats probants, des améliorations restent possibles. Le modèle du véhicule pourrait mieux intégrer les effets aérodynamiques et l’interaction pneu-route, particulièrement importants à haute vitesse. Les algorithmes pourraient bénéficier d’approches plus avancées comme le contrôle prédictif. La validation sur d’autres types de véhicules et de circuits renforcerait la robustesse du système.
Les applications potentielles dépassent largement le cadre de la compétition automobile. Les concepts développés pourraient améliorer la sécurité et l’efficacité des véhicules autonomes grand public ou des poids lourds. L’anticipation des changements de pente ou des virages pourrait optimiser la consommation énergétique et augmenter la sécurité des transports quotidiens.
C’est donc un progrès notable dans le contrôle des voitures de course autonomes à moteur thermique qui vient d’être réalisé. En traduisant efficacement les instructions abstraites en actions concrètes tout en assurant sécurité et performance, la recherche génère de nouvelles possibilités pour l’autonomie véhiculaire. La capacité d’anticipation, plus que la simple vitesse d’exécution, pourrait représenter la clé de progrès futurs, tant sur circuits de compétition que sur routes conventionnelles.
Lexique
Contrôle longitudinal : Système de gestion de l’accélération et du freinage d’un véhicule autonome.
ABS (Anti-lock Braking System) : Dispositif de sécurité qui module la pression de freinage pour éviter le blocage des roues.
TC (Traction Control) : Système limitant le patinage des roues en ajustant la puissance transmise lors de l’accélération.
Glissement des roues : Différence entre la vitesse de rotation des roues et la vitesse effective du véhicule.
Stratégie prédictive de changement de vitesses : Approche anticipant les besoins futurs en couple moteur pour optimiser les performances.
Gestion thermique des freins : Contrôle de la température des freins pour maintenir leur efficacité optimale dans toutes les conditions.
Architecture modulaire : Conception en composants fonctionnels indépendants facilitant l’adaptation et l’évolution du système.
Article : « Longitudinal Control for Autonomous Racing with Combustion Engine Vehicles » – 2504.17418v1 | Phillip Pitschi1, Simon Sagmeister2, Sven Goblirsch2, Markus Lienkamp2, Boris Lohmann1
Université technique de Munich, Allemagne ; École d’ingénierie et de conception, Département de physique de l’ingénieur et de calcul, Institut de contrôle automatique
Contenu adapté de l’étude arXiv:2504.17418v1