Deux têtes valent mieux qu’une, dit le proverbe, et parfois deux instruments, ingénieusement recombinés, peuvent accomplir des prouesses qu’aucun n’aurait pu faire seul. C’est le cas d’un microscope hybride, né au Laboratoire de biologie marine (MBL), qui permet pour la première fois aux scientifiques d’obtenir simultanément une image en 3D de l’orientation et de la position d’un ensemble de molécules, telles que des protéines marquées à l’intérieur des cellules.
Le microscope combine la technologie de la fluorescence polarisée, un outil précieux pour mesurer l’orientation des molécules, avec un microscope à double feuille de lumière (diSPIM), qui excelle dans l’imagerie le long de l’axe de profondeur (axial) d’un échantillon.
Cet instrument peut avoir de puissantes applications. Par exemple, les protéines changent d’orientation en 3D, généralement en réponse à leur environnement, ce qui leur permet d’interagir avec d’autres molécules pour remplir leurs fonctions.
« Cet instrument permet d’enregistrer les changements d’orientation des protéines en 3D », explique le premier auteur, Talon Chandler, du CZ Biohub San Francisco, un ancien étudiant diplômé de l’université de Chicago qui a mené cette recherche en partie au MBL. « Il y a une véritable biologie qui pourrait être cachée par le seul changement de position d’une molécule », a-t-il ajouté.
L’imagerie des molécules dans le fuseau d’une cellule en division – un défi de longue date au LBM et ailleurs – est un autre exemple.
« Avec la microscopie traditionnelle, y compris la lumière polarisée, vous pouvez étudier le fuseau de manière assez satisfaisante s’il se trouve dans le plan perpendiculaire à la direction d’observation. Dès que le plan est incliné, la lecture devient ambiguë », indique le co-auteur Rudolf Oldenbourg, scientifique principal au MBL. Ce nouvel instrument permet de « corriger » l’inclinaison et de capturer l’orientation et la position en 3D des molécules du fuseau (microtubules).
L’équipe espère rendre son système plus rapide afin de pouvoir observer comment la position et l’orientation des structures dans les échantillons vivants changent au fil du temps. Elle espère également que le développement de futures sondes fluorescentes permettra aux chercheurs d’utiliser leur système pour obtenir des images d’une plus grande variété de structures biologiques.
Une confluence de visions
Le concept de ce microscope a germé en 2016 grâce au brainstorming d’innovateurs en microscopie qui se sont rencontrés au MBL.
Hari Shroff du HHMI Janelia, alors aux Instituts nationaux de la santé (NIH) et boursier Whitman du LBM, travaillait avec son microscope diSPIM conçu sur mesure au LBM, qu’il avait construit en collaboration avec Abhishek Kumar, aujourd’hui au LBM.
Le microscope diSPIM possède deux voies d’imagerie qui se rencontrent à angle droit sur l’échantillon, ce qui permet aux chercheurs d’éclairer et d’imager l’échantillon des deux points de vue. Cette double vue permet de compenser la faible résolution en profondeur d’une seule vue et d’éclairer avec un meilleur contrôle de la polarisation que les autres microscopes.
Au cours d’une conversation, Shroff et Oldenbourg ont réalisé que le microscope à double vue pouvait également remédier à une limitation de la microscopie à lumière polarisée, à savoir qu’il est difficile d’éclairer efficacement l’échantillon avec de la lumière polarisée dans le sens de la propagation de la lumière.
« Si nous disposions de deux vues orthogonales, nous pourrions mieux détecter la fluorescence polarisée dans cette direction », détaille M. Shroff. « Nous nous sommes alors demandé pourquoi ne pas utiliser le diSPIM pour effectuer des mesures de fluorescence polarisée. »
Shroff a collaboré au MBL avec Patrick La Rivière, professeur à l’université de Chicago, dont le laboratoire développe des algorithmes pour les systèmes d’imagerie informatique. De plus, La Rivière avait un nouvel étudiant diplômé dans son laboratoire, Talon Chandler, qu’il a amené au LBM. Le défi consistant à combiner ces deux systèmes est devenu la thèse de doctorat de Talon Chandler, qui a passé l’année suivante dans le laboratoire d’Oldenbourg au LBM pour y travailler.
L’équipe, qui comprenait au début Shalin Mehta, alors basé au LBM, a équipé le diSPIM de cristaux liquides, ce qui leur a permis de changer la direction de la polarisation d’entrée.
« J’ai ensuite passé beaucoup de temps à me demander à quoi ressemblerait une reconstruction. Quel est le maximum que nous pouvons récupérer à partir de ces données que nous commençons à acquérir ? » a dit M. Chandler. Le coauteur Min Guo, qui travaillait alors dans l’ancien laboratoire de Shroff au NIH, a également travaillé sans relâche sur cet aspect, jusqu’à ce qu’ils atteignent leur objectif de reconstruire entièrement en 3D l’orientation et la position des molécules.
« Il y a eu de nombreux échanges entre le MBL, l’université de Chicago et les NIH pendant que nous travaillions sur ce projet », a conclu M. Chandler.
Légende illustration : Le microscope diSPIM polarisé, qui permet d’obtenir des images en 3D de l’orientation et de la position des molécules dans les cellules. L’instrument a été construit dans le laboratoire de Hari Shroff à l’Institut national d’imagerie biomédicale et de bio-ingénierie (NIBIB) après que l’idée a été conçue au Marine Biological Laboratory de Woods Hole. Les cristaux liquides utilisés pour l’éclairage polarisé sont représentés par des cercles verts. Les trajectoires à double vue du diSPIM se rencontrent à angle droit sur l’échantillon. Voir Chandler et al, PNAS, 2025. Crédit : Min Guo
Article : « Volumetric imaging of the 3D orientation of cellular structures with a polarized fluorescence light-sheet microscope » – DOI : 10.1073/pnas.2406679122