L’essor des technologies quantiques repose sur la capacité à maîtriser des systèmes complexes où chaque avancée technique peut redéfinir les limites du possible. Dans ce contexte, le rôle des qubits, unités fondamentales de l’informatique quantique, s’avère déterminant pour franchir une étape supplémentaire vers des architectures à grande échelle. Les physiciens de l’Institut des sciences et technologies Autriche (ISTA) ont récemment proposé une solution audacieuse qui pourrait modifier les paradigmes actuels.
Les chercheurs d’ISTA ont réussi à mettre au point une méthode permettant une lecture entièrement optique des qubits supraconducteurs. La problématique centrale résidait dans les limitations imposées par les signaux électriques traditionnellement utilisés pour mesurer ces qubits. Ces signaux, bien que fonctionnels, se caractérisent par une bande passante réduite et une dissipation thermique importante. Une telle contrainte limite considérablement leur évolutivité.
Le groupe dirigé par le professeur Johannes Fink a donc exploré une alternative basée sur les fibres optiques. Georg Arnold, co-premier auteur de l’étude,souligne l’ambition sous-jacente aux travaux menés : « Cette nouvelle approche pourrait permettre d’accroître le nombre de qubits jusqu’à ce qu’ils deviennent opérationnels pour le calcul. Elle pose également les bases pour construire un réseau d’ordinateurs quantiques supraconducteurs connectés via des fibres optiques à température ambiante. »
Un défi technique majeur relevé
L’intégration des fibres optiques dans les systèmes quantiques supraconducteurs s’est révélée être un obstacle complexe à surmonter. Les qubits supraconducteurs nécessitent des températures proches du zéro absolu pour maintenir leurs propriétés uniques. Thomas Werner, également co-premier auteur, explique : « Idéalement, on essaierait de se débarrasser de tous les signaux électriques, car les câblages transportent beaucoup de chaleur dans les chambres de refroidissement où sont situés les qubits. Mais cela n’est pas réalisable. »
Pour contourner cette difficulté, une solution ingénieuse fut mise en œuvre : l’utilisation d’un transducteur électro-optique. Ce dispositif convertit les signaux optiques en fréquences micro-ondes, compréhensibles pour les qubits. À son tour, ces derniers réfléchissent un signal micro-onde que le transducteur reconvertit en lumière. « Nous avons montré que nous pouvons envoyer de la lumière infrarouge près des qubits sans compromettre leur supraconductivité », précise Thomas Werner. Leur prouesse technique ouvre des possibilités concrètes pour simplifier l’infrastructure nécessaire.
Réduction des contraintes cryogéniques
La lecture optique complète des qubits supraconducteurs a permis de réduire drastiquement la charge thermique associée à leur mesure. Les systèmes conventionnels reposent sur une multitude de composants électriques coûteux et sujets aux erreurs. Chacun de ces éléments doit être refroidi à des températures cryogéniques, augmentant ainsi les besoins énergétiques et les coûts globaux.
En remplaçant ces composants par des solutions optiques, les chercheurs ont non seulement rendu le système plus robuste mais aussi plus économique. « En utilisant le transducteur électro-optique pour désolidariser les qubits de l’infrastructure électrique, il a été possible de remplacer toutes les parties restantes de l’installation par des éléments optiques », indique encore le chercheur. L’optimisation constitue un levier essentiel pour accroître le nombre de qubits utilisables dans les architectures futures.
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Vers des réseaux quantiques interconnectés
Une autre implication majeure des travaux d’ISTA réside dans leur potentiel à faciliter l’interconnexion entre plusieurs ordinateurs quantiques. Actuellement, les processeurs quantiques doivent être intégralement refroidis dans des réfrigérateurs à dilution, dont la taille et les capacités sont limitées. « Ces réfrigérateurs ne peuvent pas être agrandis indéfiniment », rappelle Georg Arnold.
Grâce à la technologie développée, il serait désormais envisageable de connecter deux qubits situés dans des réfrigérateurs distincts via une fibre optique. « L’infrastructure existe déjà, et nous disposons maintenant de la technologie permettant de construire les premiers réseaux simples de calcul quantique », ajouta-t-il. Une telle perspective pourrait accélérer le développement de systèmes modulaires capables de traiter des volumes massifs de données.
Des perspectives techniques encore à affiner
Bien que le prototype conçu par les physiciens d’ISTA représente une avancée significative, ses performances demeurent limitées. Le niveau de puissance optique requis et dissipé reste élevé, nécessitant des améliorations avant toute application industrielle. Néanmoins, cette preuve de concept valide l’hypothèse selon laquelle une lecture optique complète des qubits supraconducteurs est réalisable.
Le rôle de l’industrie sera crucial pour perfectionner cette technologie. Les chercheurs espèrent que leurs travaux inspireront de nouvelles collaborations visant à lever les verrous technologiques subsistants. « Il appartient désormais à l’industrie de faire progresser cette technique », conclut Georg Arnold.
Légende illustration : Une équipe de physiciens de l’Institute of Science and Technology Austria (ISTA) est parvenue à une lecture entièrement optique de qubits supraconducteurs, comme l’explique Thomas Werner, coauteur du premier article. © ISTA
Georg Arnold, Thomas Werner, Rishabh Sahu, Lucky N. Kapoor, Liu Qiu, and Johannes M. Fink. 2025. All-optical superconducting qubit readout. Nature Physics. 10.1038/s41567-024-02741-4