Une nouvelle recherche menée par des hydrologue américains révèle des erreurs majeures dans l’évaluation des ressources en eau disponibles pour l’extraction du lithium dans le « Triangle du lithium » (Chili, Argentine, Bolivie), une région fournissant plus de la moitié des réserves mondiales de ce métal essentiel aux batteries vertes.
Publiés dans Communications Earth and Environment, leurs travaux montrent que les modèles actuels surestiment la disponibilité de l’eau douce d’un facteur supérieur à dix, menaçant les écosystèmes fragiles et les communautés locales. Alors que la demande mondiale de lithium pourrait bondir de 4 000 % d’ici 2050, les auteurs appellent à une collaboration urgente entre industriels, régulateurs et populations pour éviter une crise environnementale et sociale.
Un métal aux propriétés singulières, une ressource mal évaluée
Le lithium, élément clé de la transition énergétique, présente des caractéristiques géochimiques uniques. « Le lithium est un élément étrange. C’est le plus léger des métaux, mais il n’aime pas se trouver sous forme solide », précise David Boutt, professeur de géosciences à UMass Amherst et coauteur principal de l’étude. Concentré dans des couches de cendres volcaniques, il se dissout au contact de l’eau, migre vers les nappes phréatiques et s’accumule dans des bassins endoréiques sous forme de saumures denses. Ces réservoirs, situés sous des lacs et lagunes d’eau douce, abritent des écosystèmes uniques — comme les flamants roses — et soutiennent des modes de vie autochtones séculaires.
L’exploitation du lithium perturbe ces équilibres. Les méthodes traditionnelles d’extraction par évaporation nécessitent d’immenses volumes d’eau, tandis que les nouvelles techniques d’extraction directe (DLE) — déjà majoritaires dans la région — aggravent la consommation. « Près de 56 % des sites de DLE utilisent plus d’eau que l’évaporation, et 31 % en consomment dix fois plus », souligne Alexander Kirshen, chercheur à UMass Amherst et premier auteur de l’étude.
Des modèles globaux trompeurs
Pour évaluer la disponibilité de l’eau douce, les scientifiques ont analysé 28 bassins du Triangle du lithium, une zone aride de plus de 160 000 km². Les modèles globaux estimaient les apports annuels en eau entre 90 et 230 mm. Cependant, grâce au modèle LiCBWA (Lithium Closed Basin Water Availability – Disponibilité de l’eau du bassin fermé du lithium), développé spécifiquement pour cette étude, l’équipe a découvert des chiffres bien plus bas : entre 2 et 33 mm par an selon les bassins, avec une moyenne de 11 mm. « Les modèles existants surestiment les ressources en eau d’un ordre de grandeur », résume David Boutt. Sur les 28 bassins étudiés, 27 présentent un stress hydrique critique, même sans tenir compte des besoins futurs.
Cette divergence s’explique par la complexité géographique de la région. Faute de stations de mesure, les modèles globaux négligent les variations locales de précipitations et de recharge des aquifères. « Le climat et l’hydrologie du Triangle du lithium sont parmi les plus difficiles à modéliser », ajoute Alexander Kirshen.

Vers une course contre la montre
L’enjeu dépasse les frontières de la région. Le lithium est indispensable aux véhicules électriques et au stockage d’énergie renouvelable, mais son extraction intensive menace les populations locales. « Les communautés autochtones, déjà confrontées à la sécheresse et à la perte de biodiversité, subiront de plein fouet les conséquences d’une gestion non durable », prévient David Boutt.
Les auteurs proposent une feuille de route : améliorer la surveillance hydrologique, réduire la consommation d’eau par les industriels, et impliquer les populations dans les décisions. « Comme l’exploitation du lithium est une réalité dans le Triangle du lithium, les scientifiques, les communautés locales, les régulateurs et les producteurs doivent collaborer pour réduire l’utilisation de l’eau », insistent-ils.
Cette étude rappelle que la durabilité de la transition verte dépend de compromis équitables. Alors que l’industrie minière se tourne vers des technologies moins gourmandes en eau, les chercheurs appellent à une régulation stricte et à des investissements dans la recherche. « Le lithium n’est pas une ressource infinie, ni socialement ni écologiquement », conclut Alexander Kirshen. Une réalité que les politiques climatiques globales ne peuvent plus ignorer.
Lexique
- Triangle du lithium : Région andine (Chili, Argentine, Bolivie) concentrant plus de 50 % des réserves mondiales de lithium.
- Saumures : Solutions aqueuses riches en lithium, accumulées dans des bassins endoréiques sous forme de couches denses.
- LiCBWA : Modèle hydrologique spécialement conçu pour évaluer les ressources en eau dans les bassins fermés du Triangle du lithium.
- Extraction directe (DLE) : Procédé minier récent, supposé plus efficace, mais critiqué pour sa surconsommation d’eau.
- Stress hydrique extrême : Situation où la demande en eau dépasse largement les ressources renouvelables disponibles.
- Bassins endoréiques : Zones géographiques où l’eau ne s’écoule pas vers l’océan, favorisant l’accumulation de minéraux comme le lithium.
- Équilibres socio-écologiques : Interdépendances entre les écosystèmes fragiles (ex. flamants roses) et les modes de vie autochtones.
Financement : Cette recherche a bénéficié du soutien du groupe BMW et de BASF. Des équipes de l’université d’Alaska Fairbanks, d’Alaska Anchorage et de Dayton ont contribué à l’étude.
Article : « Freshwater inflows to closed basins of the Andean plateau in Chile, Argentina, and Bolivia » – DOI : 10.1038/s43247-025-02130-6