La recherche d’une énergie nucléaire durable repose sur des innovations techniques précises. Une équipe internationale de scientifiques a développé un procédé inédit pour isoler le lithium-6, un isotope indispensable à la fabrication de combustible de fusion, sans utiliser de mercure liquide. Publiée le 20 mars dans Chem, cette méthode évite les risques environnementaux associés aux techniques traditionnelles tout en offrant une efficacité comparable.
Jusqu’aux années 1960, la séparation du lithium-6 — représentant moins de 8 % du lithium naturel — dépendait du procédé COLEX, interdit aux États-Unis en raison de sa toxicité. Depuis, les réserves américaines de lithium-6, stockées à Oak Ridge, diminuent. « Il s’agit d’une étape vers la résolution d’un obstacle majeur à l’énergie nucléaire », déclare Sarbajit Banerjee, coauteur de l’étude. Sans alternative, la fusion nucléaire reste inaccessible.
Une piste issue de la dépollution des eaux
L’innovation est née d’un projet de traitement des eaux de forage, chargées en métaux et en sel. En testant un matériau à base d’oxyde de vanadium zeta (ζ-V2O5), les chercheurs ont observé une capture sélective du lithium. « Nous avons constaté que notre membrane captait le lithium de manière sélective, même en présence d’une quantité bien supérieure de sel », explique Sarbajit Banerjee. Cette observation a orienté les travaux vers la séparation isotopique.
La structure cristalline de ζ-V2O5, composée de tunnels unidimensionnels, permet un piégeage différencié des isotopes. Sous tension électrique, les ions lithium migrent vers la cathode en ζ-V2O5. La masse plus faible du lithium-6 (6 unités atomiques contre 7 pour le lithium-7) favorise une liaison plus stable avec le matériau. « Le lithium-7, plus lourd, rompt plus facilement ces liaisons, comparables à un ressort moins rigide », précise Andrew Ezazi, coauteur.
Ce processus s’accompagne d’un changement de couleur du matériau, passant du jaune vif au vert olive, facilitant le suivi de l’enrichissement. Après un cycle, la concentration en lithium-6 augmente de 5,7 %. Pour atteindre les 30 % requis pour la fusion, 25 cycles sont nécessaires, et 45 cycles permettent d’obtenir 90 % de lithium-6.
Perspectives d’industrialisation
Bien que performant, le procédé nécessite des ajustements techniques pour une production à grande échelle. « Les défis, comme la conception des réacteurs, sont surmontables », affirme Sarbajit Banerjee. Les applications pourraient s’étendre à la séparation d’autres isotopes, notamment radioactifs.
Leur méthode relance l’espoir d’une production durable de combustible pour la fusion nucléaire. « Nous espérons transformer cette approche en solution industrielle », conclut Sarbajit Banerjee. Si les défis d’ingénierie sont maîtrisés, le ζ-V2O5 pourrait révolutionner l’enrichissement isotopique, réduisant la dépendance aux ressources polluantes.
Légende illustration : Enrichissement isotopique électrochimique du lithium-6 – Crédit Harris Kohl and Andrew Ezazi
Article : « Electrochemical 6-Lithium Isotope Enrichment Based on Insertion in 1D Tunnel-Structured V2O5 »- DOI: 10.1016/j.chempr.2025.102486