Une ressource ancienne mais sous-exploitée refait surface dans les débats scientifiques : la géothermie. Longtemps cantonnée à des applications locales, cette énergie pourrait pourtant se réinventer en acteur global grâce à une ressource insoupçonnée : les roches surchauffées à plus de 375°C, enfouies à plusieurs kilomètres sous nos pieds. Des travaux récents éclairent les défis techniques et les opportunités d’un virage vers ces systèmes « supercritiques », dont le potentiel énergétique décuple celui des installations actuelles.
L’Agence internationale de l’énergie et d’autres organismes soulignent depuis peu l’importance d’exploiter ces réservoirs profonds pour accélérer la transition énergétique. Les centrales géothermiques traditionnelles fonctionnent avec des températures comprises entre 100 et 250°C, mais les connaissances restent lacunaires pour des niveaux thermiques bien supérieurs. Deux études dirigées par Daniel W. Dichter, ingénieur mécanicien chez Quaise Energy, comblent partiellement ces lacunes en appliquant des principes de conception existants à des températures dépassant 300°C.
« Notre expérience dans la plage conventionnelle est solide, mais elle se limite à des températures inférieures à 250°C. Ces publications tracent les bases d’une feuille de route pour les systèmes haute température », explique Daniel Dichter. Ses conclusions, présentées lors de conférences spécialisées en 2024, révèlent des pistes inattendues. Ainsi, maintenir l’eau en phase supercritique (au-dessus de 375°C) jusqu’à la surface ne serait pas indispensable pour maximiser la production d’énergie. Les contraintes physiques liées au transport dans des tuyaux étroits – généralement de 20 cm de diamètre – réduisent en effet les gains théoriques de cette approche.
« Le débit massique diminue à mesure que la température augmente, ce qui annule l’avantage de la densité énergétique du fluide supercritique », précise Dichter. Néanmoins, une température de 350°C en surface suffirait à multiplier par dix la puissance électrique par rapport aux systèmes actuels. Un constat qui pourrait réduire les coûts, les turbines à vapeur classiques – bien plus répandues que les systèmes à cycles binaires utilisant des hydrocarbures – devenant compatibles avec ces installations.
Autre avancée : remplacer les fluides organiques (comme l’isobutane) par de l’eau dans les cycles binaires. Cette substitution simplifierait la logistique tout en évitant les risques de corrosion liés aux impuretés géothermales. « Les turbines à vapeur bénéficient d’une chaîne d’approvisionnement mature, contrairement aux systèmes ORC [cycles de Rankine organiques] », note encore l’ingénieur.
Reste l’obstacle majeur : atteindre ces roches surchauffées. Actuellement, seuls des sites comme l’Islande permettent un accès relativement aisé à ces profondeurs. Pour généraliser l’exploitation, Quaise Energy mise sur un procédé innovant utilisant des ondes millimétriques – apparentées aux micro-ondes – pour vaporiser les roches à des températures extrêmes. Une technologie qui pourrait révolutionner le forage en contournant les limites des méthodes pétrolières.
« Le potentiel est immense, des centrales électriques au chauffage urbain en passant par les pompes à chaleur », conclut Daniel Dichter, évoquant un « renouveau » pour une filière longtemps considérée comme marginale. Si les défis techniques persistent, ces travaux confirment que les profondeurs terrestres recèlent une énergie propre, abondante… et désormais moins inaccessible.
Légende illustration : Conception artistique d’une future centrale géothermique de Quaise Energy capable d’exploiter les roches très chaudes qui se trouvent sous nos pieds. Crédit : Hector Vargas, Quaise Energy
Document – « Water-Based Geothermal Binary Cycles » ( .PDF )
Source : Quaise Energy