L’idée d’un ordinateur optique, fonctionnant à l’aide de photons plutôt que d’électricité, intrigue la communauté scientifique depuis des décennies. Cependant, un obstacle majeur persistait : la taille et la complexité des matériaux capables de basculer entre deux états lumineux distincts. Une équipe internationale vient de surmonter ce verrou technologique grâce à une innovation matérielle inédite.
Une collaboration impliquant le Lawrence Berkeley National Laboratory (Berkeley Lab), l’université Columbia et l’université autonome de Madrid a abouti à la conception d’un nouveau matériau pour le calcul optique. Ces travaux reposent sur des nanoparticules capables de déclencher un phénomène appelé « avalanche photonique« . Ce processus se caractérise par une amplification exponentielle de la lumière émise lorsque ces particules sont excitées par une source laser infrarouge.
Dans leur publication récente dans Nature Photonics, les chercheurs ont détaillé comment ces nanoparticules peuvent être exploitées pour fabriquer des composants tels que des transistors ou des mémoires optiques à une échelle nanométrique. Cette approche repose sur une propriété appelée bistabilité optique intrinsèque (IOB), qui permet aux matériaux de basculer entre deux états lumineux en réponse à une stimulation lumineuse spécifique.
Une première mondiale validée expérimentalement
Emory Chan, scientifique principal au Molecular Foundry de Berkeley Lab et co-auteur principal de cette étude, a affirmé : “Il s’agit de la première démonstration pratique de bistabilité optique intrinsèque dans des matériaux à l’échelle nanométrique”. Selon lui, la capacité à reproduire ces matériaux tout en comprenant leurs propriétés contre-intuitives constitue une étape essentielle vers la fabrication de calculateurs optiques à grande échelle.
Les nanoparticules développées mesurent seulement 30 nanomètres et sont fabriquées à partir d’un matériau halogénure de potassium-plomb dopé avec du néodyme, un élément rare utilisé dans les lasers. Lorsqu’elles sont exposées à une source laser infrarouge, elles manifestent une non-linéarité extrême, découverte initialement en 2021. À cette époque, il avait été montré qu’un doublement de la puissance laser entraînait une augmentation de l’intensité lumineuse émise par un facteur de 10 000.
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont constaté que les nanoparticules actuelles présentaient une non-linéarité trois fois supérieure à celle observée précédemment. “Les plus grandes non-linéarités jamais observées dans un matériau”, selon Emory Chan, ont été relevées lors des expérimentations.
Un comportement optique unique révélé
Les expériences ont également révélé un comportement fascinant : une fois excitées au-delà d’un certain seuil de puissance laser, les nanoparticules continuent d’émettre de manière brillante même lorsque la puissance est réduite sous ce seuil. Elles ne s’éteignent complètement qu’à des niveaux de puissance très faibles. Cette capacité à maintenir deux états lumineux distincts, sans modification du matériau lui-même, suggère des applications potentielles dans la création de mémoire optique volatile, comparable à la RAM des ordinateurs traditionnels.
Chan a expliqué que la différence significative entre les seuils de puissance “allumé” et “éteint” permet aux nanoparticules d’adopter soit un état lumineux, soit un état sombre, en fonction uniquement de leur historique d’exposition à la lumière. Ce phénomène pourrait être exploité pour développer des dispositifs de mémoire optique à l’échelle nanométrique.
Origines et implications de la bistabilité optique
Pour comprendre les mécanismes sous-jacents à cette bistabilité, les chercheurs ont eu recours à des modèles informatiques. Ces simulations ont permis de révéler que la bistabilité optique intrinsèque ne résulte pas du chauffage des nanoparticules, contrairement à ce qui avait été supposé dans des études antérieures. Au lieu de cela, elle découle de la non-linéarité extrême de l’avalanche photonique ainsi que d’une structure unique qui atténue les vibrations dans les particules.
Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles recherches visant à explorer des formulations alternatives pour des nanoparticules encore plus stables sur le plan environnemental et dotées de propriétés optiques améliorées. Les applications potentielles incluent des dispositifs optiques bistables capables de fonctionner dans des conditions variées.
Le Molecular Foundry, une installation dédiée aux sciences à l’échelle nanométrique hébergée par Berkeley Lab, joue un rôle central dans ces avancées. Les efforts de ses chercheurs s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à concevoir des microélectroniques plus compactes, plus rapides et moins énergivores grâce à des matériaux et techniques innovants.
Légende illustration : Xiao Qi, chercheur postdoctoral, dans la salle des lasers de la fonderie moléculaire du laboratoire Berkeley. Qi a utilisé cette installation pour développer un nouveau matériau informatique optique à partir de nanoparticules qui présentent un phénomène connu sous le nom d' »avalanche de photons », dans lequel une petite augmentation de la puissance du laser entraîne une augmentation géante et disproportionnée de la lumière émise par les nanoparticules. Credit: Marilyn Sargent/Berkeley Lab
Article : « Intrinsic optical bistability of photon avalanching nanocrystals » – DOI : s41566-024-01577-x